Abdelhaï SADIQ
Marrakech,
2013/2016.
S3.
FLMSH.
Les
textes rassemblés ici sont destinés aux étudiants de la filière études
françaises, semestre 3, Initiation à la traduction. 2013-2015. Université Cadi
Ayyad. Faculté des Lettres et Sciences Humaines. Marrakech. Maroc
De nos jours le
terme traduction s’entend de
multiples façons, il convient donc d’en apprécier les divers usages. De manière
générale il désigne le texte traduit dans une autre langue appelée, selon les
tendances, langue d’arrivée ou langue cible, par opposition à ce qu’on appelle
communément l’original, langue de départ ou langue source. D’autre part, il
s’agit de l’activité qui consiste à faire passer le texte d’une langue à
l’autre, il s’agit là du sens dynamique opération
traduisante contrairement au premier emploi qui fait référence au résultat
qui appelle une réflexion appréciative ou évaluative, et que nous appelons activité traductive.
Par ailleurs, le terme est employé
métaphoriquement et se trouve appliqué à des situations étrangères à la
traduction proprement dite, comme cette
toile traduit bien les intentions et les obsessions du peintre, il s’agit
là d’un détournement de sens, qui n’est toutefois pas si gratuit ou fortuit
qu’il peut paraître ; les notions d’actualisation et de création
littéraire apportent un éclairage sur ce point.
*****
Dans le
Robert, traduire est défini
comme : faire que ce qui était
énoncé dans une langue le soit dans une autre, en tendant à l’équivalence
sémantique et expressive des deux énoncés. En anglais, to translate
signifie: express the sens of (word,
sentence, speech, book, poem…) in or into another language; in or into another
form of représentation. En espagnol traducir
signifie expresar en une lengua lo dicho
o escrito en otra. Mudar, convertir. Fig. explicar, interpretar.En
allemand, übersetzen signifie : in eine andere Sprache Üvertragen ;
einen Satz, Text wôrlich, sinngemâB.
Tout d’abord en ce qui concerne le français
et l’espagnol, il est signalé que traduire
et traducir viennent du latin traducere (faire passer), mais le
français se rapproche du latin par l’emploi de l’expression faire que ; les définitions
anglaises et espagnoles placent l’acte de traduire dans sa phase finale, qui
est d’exprimer. Par ailleurs, la
définition française parle de l’équivalence
sémantique et expressive, notions signifiant qu’autant dans l’acte de
traduire (sens actif) que dans la traduction (résultat), la primauté/priorité
est donnée à l’équivalent, celui qui a la
même valeur ou fonction dans la langue-cible. Pour ce qui est de la
définition allemande, elle fait apparaître de manière évidente la notion de faire passer, surtout avec l’emploi du
terme übertragen utilisé pour
exprimer übersetzen transporter,
transmettre et transférer.
L’opération traduisante consiste donc à
transporter, transférer ou faire passer un texte, un poème ou un
discours … d’une langue à une autre. Il s’agit en outre, au regard de la
formulation des diverses définitions, que traduire
met en œuvre essentiellement une opération interlinguale ou langagière. Certes
il serait dénué de sens de vouloir passer sous silence cette tendance
langagière dans la définition du traduire.
Cependant, dans la perspective d’une réflexion sur la traduction, il
conviendrait d’aborder le problème à la lumière de notions autres que celle de
langue, car dans l’état actuel des recherches en sciences humaines, il n’est
nullement pertinent d’enfermer la traduction dans le concept de langue/langage
ou ceux qui gravitent autour.
Petite
histoire de la traduction en occident
Schématiquement,
cinq grandes étapes marquent l’histoire de la traduction et la réflexion
traductive depuis l’antiquité.
La première,
selon G.Steiner (1978) irait du précepte de Cicéron de ne pas traduire Verbum pro verbo jusqu’au commentaire
dont Hölderlin accompagne ses traductions de Sophocle (1804). Cette étape qui
apparemment a duré 17 siècles, fondait la traduction sur le parti-pris du
traducteur en faveur de l’auteur. Fidélité donc à ce dernier, le romantisme
allemand fait de cette tendance une règle prioritaire. Hölderlin, par exemple,
fasciné par Hésiode, Pindare et surtout par Sophocle, a plus réécrit des
fragments qu’il n’en a traduit en réalité, l’allemand n’étant plus le lieu
d’accueil du grec mais plutôt le grec dans sa totalité se trouve parlant
allemand, Hölderlin pour rendre ces
Grecs, recrée de l’inouï : non seulement en matière de versification et de
vocabulaire mais en syntaxe (M. Blanchot, 1981).
Le Moyen Âge, principalement face aux
textes sacrés, a été essentiellement littéraliste,
voyant en cette démarche la seule garantie d’exactitude à l’égard de la parole
divine. Il ne faut pas en déduire que seule cette école existait, elle dominait
certes, mais d’autres démarches se pratiquaient parallèlement. Le XVIe siècle a
été marqué par les libertés prises dans la traduction face aux textes profanes.
Etienne Dolet condamnait en 1540 le mot-à-mot, en Allemagne l’équipe
Schlegel-Tieck prend le parti du lecteur
et du spectateur allemand, et Shakespeare devient (et demeure) grâce à ses
traducteurs allemands le premier auteur d’un répertoire pourtant riche en
gloires nationales (B.Lortholary, 1987) ; aussi, la question de la
traduction/adaptation se pose.
La deuxième étape est sous le signe de l’herméneutique.
La question de la traduction est posée dans le cadre des théories philosophico-poétiques. Cette période s’étend
jusqu’à l’ouvrage de V. Larbaud, Sous l’invocation de St. Jérôme (1946).
La démarche herméneutique fut lancée par
F.E.D Schleiermacher (1768-1834)) puis adoptée par August Wilhelm
Schlegel (1767-1845) et F. van Humboldt (1767-1859). La traduction est
inscrite dans l’analyse de la saisie (compréhension) du discours (oral ou écrit)
en vue de l’élaboration d’un modèle général de la signification. Dans cette
perspective, l’historicité et la politique du traduire (c’est à dire les
spécificités littéraires, culturelles et nationales) sont liées.
On peut dire que si la première étape faisait
de la fidélité à l’auteur son cheval de bataille, l’étape suivante tendait à
prendre le parti du lecteur. Qu’en est il alors du texte lui même ? Le
texte à notre avis, n’est pas cette création qui élimine l’auteur (la source)
et le lecteur (la cible), mais qui intègre les deux parties prenantes et fait
donc que le texte est traduisible, ceci est un apriori absolu dans toute
réflexion traductive.
La troisième étape, période qui va de Sous
l’invocation de St. Jérôme, marque selon G.Mounin la fin de la mainmise des
écrivains-traducteurs sur la réflexion traductive, va jusqu’au livre de A.V.
Fedorov (1958) lequel insiste sur la nécessité pour le traducteur d’une
préparation solide en philologie, en stylistique, en métrique et en
linguistique. Cette étape sera marquée, durant une vingtaine d’années, le
formalisme aidant, par l’intérêt des chercheurs et critiques littéraires russes
pour la traduction. La logique formelle, la linguistique structurale, et la
théorie de l’information ont vu dans l’analyse des échanges interlinguistiques
un terrain privilégié d’expériences, notamment dans la traduction.
Ce sont les années soixante et soixante-dix
qui marquent la quatrième étape. Elles placent la traduction à la charnière de
disciplines confirmées et récentes, autant dans le domaine des sciences
sociales que dans celui des sciences humaines. Dans le premier, ce sont l’anthropologie,
la sociologie ou l’ethnologie et la psychologie qui ont contribué à la
réflexion sur la traduction, à travers essentiellement les études du
bilinguisme. Dans le domaine des sciences humaines, la philologie, la
rhétorique, la stylistique comparée ou encore la linguistique se sont
intéressées à l’opération traduisante
et au fonctionnement des langues entre elles.
D’autre part, cette étape est marquée
principalement par : d’un côté la redécouverte, de l’article de W.Benjamin
Die Aufgabe des übersetzers (La tâche du traducteur), paru en
1923 ; et d’un autre côté, par la pensée heideggérienne. La traduction est
abordée à la lumière de l’herméneutique et de la métaphysique. Dans ce sens, la
traduction établit une synapse qui fait
communiquer les recherches menées en psychologie, anthropologie, sociologie, et
des branches intermédiaires comme l’ethnolinguistique et la sociolinguistique (G.Steiner,
1978). Ainsi, l’adage cher à Novalis et Humboldt qui veut que toute communication soit une traduction, a acquis plus de vigueur
technique et de fondement philosophique (idem, 1978).
Enfin, la cinquième étape. Depuis le début
des années quatre-vingt, nous assistons au développement de deux tendances en
théorie de la traduction. La première, nous l’appellerons l’écrivance de la traduction, c’est à dire la prolifération de
propos qui utilisent un vocabulaire scientiste propre à la traduction et qui
démontre qu’il s’agit en réalité d’une réflexion de la traduction sur
elle-même par l’utilisation de termes ou concepts comme équivalence numérique ou équivalence fonctionnelle ou traductionnel, activité traductive ou
encore métatraduction…La seconde
tendance s’inscrit dans une perspective littéraire et plus précisément
comparatiste intégrant la traduction dans la réflexion et théories
comparatistes. On assiste ainsi à l’intégration de plus en plus marquée de la
traduction dans les recherches comparatistes. Les manuels de littérature
comparée consacrent une place importante à la traduction. Le plus important
plaidoyer allant dans ce sens est assurément le propos d’Etiemble dans Ouverture(s)
sur un comparatisme planétaire (1988).
Ce qui caractérise également cette étape
(personnalisée par des penseurs comme H.Meschonnic, A.Berman, J.Derrida,
P.Ricoeur) est le souci de tenter de sortir du patronage de grandes disciplines
comme la linguistique, et de s’installer dans une perspective théorique et
méthodologique qui éclaire ces disciplines et non le contraire. Il y a
également chez ces théoriciens une posture lectorale des textes dits
fondamentaux pour la traduction, et dont nous ne citerons ici en guise
d’exemple de la lecture que fait H.Meschonnic du précepte de Cicéron, qui
distingue Interpres et Orator, le premier fait du
mot-à-mot ; le second, parlant de lui-même écrivait je ne les ai pas tournés (parlant des discours des Eschine et
Démosthène) comme un traducteur, mais comme un orateur, avec les mêmes phrases,
et avec les mêmes formes, autant qu’avec leurs figures, avec des mots adaptés à
notre habitude ; en quoi ce n’est pas le mot pour le mot que j’ai trouvé
nécessaire de rendre, mais c’est tout le caractère des mots et leur force que
j’ai conservés. (1987). Ce discours a toujours été interprété en plaçant la
traduction du point de vue de la langue et de l’usage. Meschonnic la place
comme discours (formes, figures, force) ; entendu non comme subversion mais comme système de subjectivité dans le
langage. Le discours est de l’ordre du continu. La langue avec ses unités, est
de l’ordre du discontinu. Les distorsions à l’usage, s’il y en a, sont les
éléments de ce système et de ce continu du discours. Alors seulement il y a une
poétique du traduire, comme il y a une poétique d’une écriture. Et une
traduction peut être une métaphore d’un texte. (Idem, 1987).
En résumé, cette
classification ne veut pas dire que telle ou telle école avait une totale
prédominance à telle ou telle époque, mais reflète au contraire que les
différentes positions, réflexions, théories ou choix se superposent et
fonctionnent simultanément.
Dans la
perspective de cette éternelle opposition entre stylistique/sémantique, sens/style,
linguistique/esthétique, sourciers/cibilistes, ou entre traductibilité/intraductibilité,
traduisible/intraduisible, ou encore entre traducteurs écrivains et
traducteurs universitaires ; l’histoire de la traduction a été jalonnée de
réflexions importantes et pertinentes, même s’il ne s’agit dans la majorité des
cas que d’une reformulation de la sempiternelle dualité. Ainsi, pour Dante
(1265-1321), aucune des choses qui ont
été mises en harmonie par le lien de la poésie ne se peut transporter de sa
langue en une autre sans qu’on rompe sa douceur et harmonie. Cervantès
(1547-1616) compare une traduction à un tapis mis à l’envers : tous les
motifs sont là, mais rien de leur beauté n’est perceptible. Humboldt
(1767-1835) en Allemagne avançait que toute
traduction (lui) paraît être incontestablement une tentative de résoudre une
tâche où périt inévitablement celui qui traduit ou celui qui est traduit.
Ces points de vue émanent d’écrivains ou de poètes pour lesquels la traduction
et l’opération traduisante sont
souvent entachées d’infidélité voire de trahison.
Des opinions favorables et optimistes sur la
traduction existent également, Perrault (1628-1703) par exemple, soutenait
l’idée que l’on pouvait mieux gagner un auteur par les traductions de son
œuvre. Lamartine (1790-1869) affirmait qu’il avait toujours plus de plaisir à
lire un poète étranger en traduction. Swinburne (1837-1909) va plus loin en
lançant le paradoxe que Byron n’était supportable qu’en traduction.
Ce qui apparaît à travers ces diverses
opinions, c’est que la traduction est nécessaire et peut-être, à maints égards,
considérée comme le miroir d’une civilisation, et des rapports ambigus entre
cultures. Par ailleurs, cette opération est souvent subjective dans son
approche à la fois théorique et critique. La diversité des opinions et des
réflexions montre que la part de soi (traducteur, théoricien, écrivain) dispute
la priorité au texte et à l’œuvre, autrement dit à ce qui réellement est en
droit d’être traduit.
Qu’en est-il des
positions traductives face aux textes sacrés de manière générale, et des textes
monothéistes en particulier ?
La parole divine
ne peut être interprétée en langage humain ni traduite en autre langue que
celle choisie par Dieu sous peine de châtiment. Le Magillath Taanith, pour le judaïsme, datant approximativement du 1er
siècle, rapporte la légende selon laquelle le monde s’est obscurci pendant
trois jours lorsque la Loi fut traduite en grec (Steiner, 1978).
Paradoxalement, toutes les religions et à
leur tête le christianisme et l’Islam tendent de par leur ambition à
l’universalité, et tout comme les textes idéologiques fondamentaux, ils ne
pouvaient prétendre à cette universalité qu’au prix de changements de langue.
Ce qui n’a pas manqué de produire des spéculations et des interprétations
abusives pour servir telle ou telle position. Les conflits religieux qui ont
jalonné l’histoire de l’humanité en sont une triste illustration.
L’absence de langue universelle
compréhensible et parlée par tous a conduit les textes sacrés à faire les frais
de l’épreuve du traduire, ou à en profiter. C’est de là que, dans l’histoire
occidentale de la traduction, sont nées les spéculations qui entourent jusqu’à
nos jours l’opération traduisante.
Pour la Bible, les premières traductions
sont le Targum araméen, qui mêle
traduction et commentaire ; la Bible des Septante (traduction grecque de l’ancien testament), et la Vulgate (la traduction latine de la
bible par St Jérôme, patron des traducteurs) s’en est suivi d’innombrables
traductions qui ont outrepassé leurs missions théologiques pour relever du
théologico-politique, tel fut le cas des Bibles de Luther, Calvin…; ou
poético-théologique, comme pour les travaux d’H. Meschonnic, A. Chouraqui
ou la Bible Society d’E. Nida et E. Cary
aux Etats-Unis.
Pour le Texte Coranique, il en est de même.
Il y a une prolifération de traductions et dans toutes les langues. Nous
n’avons pas de date précise concernant la première traduction ; mais Guidi
dans Muhadarat adabiya Jughrafiy (Conversations littéraires et géographiques) parle de
l’existence d’une traduction berbère du Coran datant de l’an 127H (749 J.C).
Dans ses Merveilles de l’inde et de la chine
Ibn Chahriyar parle d’une traduction du Coran dans une langue de l’inde
réalisée vers 270H (in Hamidullah, 1980).
D’autres traductions suivirent, on en
dénombre 300 en Urdu, une centaine en Persan et autant en Turc. En Latin, la
plus ancienne date de 1143 (Robertus Ketenensis). Mais celle jugée la meilleure
est de Maracci imprimée en 1696. En Français la première traduction est celle
du Sieur de Ryer intitulée L’alcoran de
Mahomet (1647).
Il est évident que les textes sacrés ont été
d’une grande importance dans l’activité et la réflexion sur la traduction. Ceci
pose tout de même un problème de taille. S’il y a abondance de traductions d’un
même texte souvent dans une même langue –le cas du Coran en français-, cela ne
signifie-t-il pas que les traductions vieillissent plus vite que l’original et
qu’elles sont éternellement à refaire ?
Il en est de même face à la multiplicité des
traductions parfois simultanées et successives des grands textes littéraires de
l’antiquité. Ainsi il existe entre autres, plusieurs traductions françaises de l’Odyssée
et de l’Iliade.
La question posée plus haut à savoir lequel
des deux textes vieillit, l’original ou la traduction pour nécessiter une
nouvelle traduction, nous montre non seulement que le traduction n’est pas
uniquement une activité culturelle indispensable pour les échanges entre les
civilisations, mais qu’elle est également un enjeu politique et
idéologique ; où les stratégies traduisantes et traductives se confondent
avec celles relevant du politique.
La
traduction entre art et éthique !
Constat qui peut
être pris comme tel sans aucune discussion, car toute création recèle ou
résulte de l’artistique. Mais il nous faut aller plus loin pour voir comment il
peut y avoir un lien entre la traduction et l’art, ou en quoi la traduction est
un art. L’art consiste à mettre un savoir-faire, une maîtrise technique au
service d’une vision intérieure, personnelle et individuelle. L’art ou le fait
artistique est donc le résultat de la rencontre du savoir et de la vision
intérieure du monde, une interprétation personnelle au moyen d’une maîtrise
technique de ce qui s’offre à nous. Une traduction en quelque sorte.
L’artiste, en s’appropriant le commun, crée
le propre par l’intermédiaire de sa vision personnelle, pour le rendre
nouvellement commun, une fois offert à la lecture ou au regard. L’art consiste
à rendre intelligible ce qui a cessé de l’être pour le nouveau regard. En ce
sens Traduire relève de l’artistique, certes, n’en déplaise à certains, mais
l’artistique sans l’éthique, surtout en traduction, enlèverait toute valeur à
l’opération traduisante.
L’éthique est en
rapport très étroit avec les problèmes posés par les Grecs au moment du passage
de l’oral à l’écrit. C’est entre 720 et 700 A.J.C que fut élaboré l’alphabet
grec, et ce n’est pas un hasard que de trouver Platon en tête de ceux qui
donnèrent une définition de l’éthique, car c’est lui qui aida largement par ses
travaux philosophiques à l’utilisation de l’écrit. Selon Walter Ong, les
sciences et la philosophie s’appuient sur
l’écriture ; elles ne sont pas le fait de l’esprit humain seul, mais celui
dudit esprit aidé d’un outil profondément intériorisé et associé aux processus
mentaux eux-mêmes (Autrement, 1987).
La société grecque était organisée selon
deux principes, le nomos (nome) qui
régissait la distribution et la gestion des terres ; et l’ethé qui désignait les consonances
en vigueur en un lieu donné. L’éthique se trouve donc être un ensemble de
règles qui régissent harmonieusement les rapports sociaux selon le principe de ce qui est bien. Par ailleurs, autant nomos que ethos sont illustrés par des situations et des exemples
précis, comme dans les premières scènes de l’Iliade évoquant la piété ou le sacrilège. L’éthos homérique devient ainsi
l’éthique platonicienne, et Platon par le passage de l’oral à l’écrit rend bien
compte de ce principe à travers ses considérations sur la justice. Selon lui,
la justice (dikaisome) est une vertu,
une fonction de la psyché, la justice est présente dans l’âme de l’individu, elle ne concerne plus l’action tournée vers
l’extérieur, mais l’organisation et les dispositions du moi profond. Dans
les dernières pages de La République,
l’âme devient le siège de l’intelligence, qui seule permet de comprendre la
philosophie sous tous ses aspects, la responsabilité de l’appréciation portée
sur le bien-fondé, la vérité ou le caractère erroné d’une théorie passe de la
communauté à l’individu, car, en dernière analyse, c’est bien lui qui lit et
réfléchit sur un texte (Autrement, 1987).
L’éthique est ainsi un ensemble de règles de
conduite de l’individu face aux sciences, indépendamment des rapports sociaux.
Et c’est de cette éthique qu’il s’agit dans l’acte de traduire et dans l’acte
littéraire en général. Céline Zins avance, à juste titre, que l’éthique de la traduction consiste
précisément à considérer et pratiquer la traduction comme un art. (…)
Le seul principe éthique qui à mes yeux
soit capable de présider à la transcription de l’œuvre littéraire est la saisie
du texte dans la spécificité qui lui est propre, c’est à dire de la place qu’il
occupe dans l’histoire de sa propre culture (1985, p49).
Mais devrions-nous nous contenter de cette
position sur le rapport Traduction/Art/Ethique? Non, car, d’une part, outre le
cadre historique du texte de départ, il faut tenir compte du cadre historique
de la culture et de la langue d’accueil, et d’autre part, pour qu’il y ait
éthique de la traduction, il faut qu’il y ait éthique de la langue, éthique de
la littérature, éthique du rapport à l’autre sur la scène de la création
littéraire comme le professait P. Ricoeur. En bref, il faut qu’il y ait une
éthique de la création littéraire, et c’est de cette éthique que procède la
traduction. Création littéraire et traduction sont intimement liées.
L’opération traduisante se base donc
sur la maîtrise de la langue étrangère, la langue propre du traducteur,
l’analyse du texte dans son fonctionnement interne et la perception de son
devenir dans la langue et culture d’arrivée. Dans cette attitude à la fois prospective,
analytique, synthétique et créative, éthique et art sont inséparables de l’acte
de traduire.
L’éthique de la
traduction qui n’est autre que l’éthique de la création littéraire se fonde à
nos yeux sur deux points : d’une part sur ce que nous pourrions appeler
la spécificité créative de
l’auteur inscrit comme opérateur dans l’historicité de ses fondements
linguistiques, et d’autre part la textualité dans son opérationnalité
performative comme composante d’une culture.
L’activité traductive (par l’intermédiaire
du traducteur) doit saisir ce que l’auteur du texte original a voulu
communiquer ; car tout écrivain s’inscrit par son texte dans un champ
composé par la langue propre, le genre et la culture. Le traducteur doit
s’inscrire dans ce champ de l’étranger
pour saisir la spécificité du maître d’œuvre. Une fois cette phase (situer le
texte et l’auteur) réalisée, le traducteur devra saisir ce que nous avons
appelé le mouvement, la mouvance à vrai-dire, du texte ; saisir donc le
fonctionnement interne du texte. Une fois le mouvement, le souffle et la
respiration du texte trouvés, le traducteur sera en mesure de percevoir le
communicable dans et à la langue et culture d’arrivée. Car, au-delà de ce qu’un
texte veut communiquer par une langue, un genre littéraire et une culture, il y
a le communicable inhérent à toutes les langues.
Ce que nous entendons par
« communicable », reprenant le propos d’H.Meschonnic, est l’activité historique des sujets, et non
simplement l’emploi de la langue, qu’un texte est une réalisation et une
transformation de la langue par le discours (1987), et d’autre part, ce que R.Jakobson appelle la dominante et définie en tant qu’élément focal d’une œuvre d’art : elle
gouverne, détermine et transforme les autres éléments. C’est elle qui garantit
la cohésion de la structure. La dominante spécifie l’œuvre. (…) Nous devons
avoir constamment présente à l’esprit cette vérité : un élément
linguistique spécifique domine l’œuvre dans sa totalité ; il agit de façon
impérative, irrécusable, exerçant directement son influence sur les autres
éléments (1977, p.77).
Toutefois, ce
que nous pourrions appeler la dominante
traductive n’est pas à chercher systématiquement au niveau linguistique. Un
texte littéraire peut avoir plusieurs dominantes ou plusieurs niveaux
dynamiques qui ne sont pas nécessairement de valeur égale, il peut y avoir un
thème qui domine autant qu’un élément linguistique ou stylistique. Aussi ne
faut-il pas décoder le texte, le déconstruire par le processus traductif et traduisant
afin de mettre en évidence l’exprimable de la langue de départ dans la langue
d’accueil, en d’autres termes, le faire passer de sa sédentarité à sa nomadité
ou inversement. Et si éthique de la traduction il y a, elle est prise de
conscience que le texte à traduire est à la fois proche et étranger, proche
pour le traducteur et étranger pour le lecteur ; mais également la
traduction (résultat) est à son tour proche et étrangère, proche du texte
original mais étrangère à l’auteur de l’original.
L’éthique est
donc la saisie de ce rapport complexe, paradoxal et ambigu qui fonde toute
création littéraire. Elle relève et procède du rapport à soi et à l’autre,
lequel concrétise la saisie de la vérité du texte et non plus seulement la
réalité du texte à traduire ; ceci dans le sillage d’E. Levinas écrivant
que pour rechercher la vérité, j’ai
déjà entretenu un rapport avec un visage qui peut se garantir soi-même, dont
l’épiphanie, elle-même, est, en quelque sorte, une parole d’honneur. Tout
langage comme échange de signes verbaux se réfère à cette parole d’honneur
originelle. Le signe verbal se place là où quelqu’un signifie quelque chose à
quelqu’un d’autre (in G.A.Goldscmidt, 1987, p.159).
L’autre (visage), c’est à la fois
l’écrivain, le texte original, le lecteur cible, et en premier lieu le
traducteur. Car l’opération
traduisante dans son déroulement s’adresse en premier lieu à ce dernier.
Pour traduire, ne faut-il pas être à
l’écoute autant de l’autre que de soi-même, deux voix différentes mais convergentes
vers ce que Nietzsche a appelé le langage
primitif, l’Etymon, l’originel,
le communicable non pas uniquement par-delà le langage mais à l’aide du
langage. Car on ne peut traduire les choses qui ne parlent pas ou qui n’ont
rien à dire.
Traduction
et interprétation.
Les recherches
traductologiques distinguent nettement la traduction de l’interprétation,
Celle-ci, comme il est communément admis, est une traduction orale, simultanée,
et ne concerne que très rarement, sinon jamais, les œuvres littéraires.
Schématiquement, la traduction concerne l’écrit, l’interprétation l’oral,
toutefois, la distinction est basée sur la finalité de l’une ou l’autre
opération et non sur la démarche. Il y a cependant une relation
d’interdépendance entre les deux activités.
S’agissant de la
traduction comme acte de communication, Le
processus de la traduction dans la conception interprétative (l’Ecole de
Paris), consiste à dégager de la
formulation en langue source le sens qu’elle désigne mais qui n’est pas contenu
en elle, puis l’exprimer en langue cible. Entre l’original et la traduction se
trouve l’idée déverbalisée qui, une fois saisie consciemment, peut s’exprimer
dans n’importe quelle langue (…) Une fois cerné le sens, sa formulation relève
des automatismes langagiers ; les idées, les sentiments, les notions que
l’ont veut transmettre trouvent à s’exprimer d’elles-mêmes . Lewis Carroll disait avec raison : Take care of the sense, the words will take
care of themselves. (Seleskovitch/Lederer,1984,
p.105).
Dans cette
perspective la traduction est interprétation du contenu des textes et
appréhension et restitution du sens qui est à considérer comme une virtualité visée par deux systèmes
symboliques constitués, deux paradigmes fermés, deux structures unitaires, deux
actes de paroles : le texte de départ et le texte d’arrivée
(G.Steiner, 1978).
Heidegger aurait-il raison en avançant que toute traduction est elle-même une
interprétation. Elle porte dans son être, sans leur donner voix, tous les
fondements, les ouvertures, et les niveaux de l’interprétation qui se sont
trouvés à son origine. Et l’interprétation à son tour, n’est que
l’accomplissement de la traduction qui encore se tait (…). Conformément à leur
essence, interprétation et traduction, ne sont qu’une et même chose. Aussi,
avant toute traduction proprement dite il y a une intra-interprétation faite au
sein de la même langue, et qui consiste selon Jeffrey Stout à créer le sens, (autrement dit) diriger son attention sur certains aspects
précis du texte et la détourner d’autres aspects, (c’est) mobiliser certaines catégories, en vue
d’une interprétation et en négliger d’autres (F.Ravaux, 1986, pp.69-70). L’interprétatif intervient comme
fondement de l’avant-traduire et l’intra-traduire et détermine les stratégies
traductives souvent induites, particulièrement pour ce qui est de la traduction
littéraire.
Cependant, au
sein de ce qu’on nomme la traduction littéraire, les chapelles et les
polémiques ne sont pas absentes. La distinction est couramment faite entre la
traduction poétique (considérée comme littéraire par excellence), et la
traduction de pièces de théâtre, de romans ou encore d’essais ; toutefois,
et comme l’a bien montré E. Cary (1985) la
traduction littéraire est une activité littéraire, la traduction théâtrale est
une opération théâtrale, la traduction poétique est une opération poétique et
cela de bout en bout. Ceci pose une interrogation, faut-il être poète pour
traduire la poésie, dramaturge pour traduire les pièces de théâtre, oui, mais
pas nécessairement, car tout dépend de l’importance de l’œuvre et de son auteur
dans leur propre littérature et dans la littérature universelle. Implicitement
ici, une question surgit, celle de savoir si tout texte mérite-t-il d’être
traduit, pourquoi, comment, par qui et pour qui…
Qu’en est-il de
la traduction philosophique ? Cas remarquable, d’après A.Berman, Elle est (en effet) révélatrice de quelque
chose qui va bien au-delà du seul discours philosophique, au sens strict :
elle constitue l’archétype de tout un domaine d’application de la traduction
extrêmement vaste, qui ne se confond ni avec la nébuleuse kaléidoscopique du
domaine de la « traduction littéraire » et poétique, ni avec le
domaine excessivement diversifié et hiérarchisé de la traduction technique.
Partant de là, la traduction philosophique doit
procéder à une importation de concepts qui est l’importation d’une
problématique d’ensemble, d’un univers de discours à un autre. Ainsi prend-elle
le sens d’une intervention interlinguistique et interculturelle selon
J.R.Ladmiral (1983, p.264).
Incontestablement
la traduction des textes philosophiques est spécifique requérant de la part du
traducteur qui, dans ce cas, doit de préférence être lui-même philosophe, une
attention très particulière. Ceci dit, cette spécificité ne place pas la
traduction des textes philosophiques au-dessus des autres en sciences humaines,
même si nombre de philosophes-traducteurs ou traducteurs de philosophie sont
tentés de placer leur activité au premier rang des activités traductives et
traduisantes. Signalons, au passage, que nombre de textes théoriques sur la
traduction manent de philosophes comme W.Benjamin, A.Berman, J.Derrida et
P.Ricoeur.
Traduire
Traduire un
texte c’est le faire voyager de la réalité d’hier à la réalité d’aujourd’hui
sans qu’il ne perde sa vérité littéraire. Certes, mais, le voyage doit-il se
faire dans n’importe quelle condition ? Tout texte supporte-t-il le
voyage et est-il prédisposé originellement à voyager et exister dans une
autre langue sans renier la sienne.
A vrai dire et avant tout, traduire, doit être
la manifestation de la capacité de lecture la plus attentive, voire la plus
responsable comme le souhaite Steiner, qui développe l’écoute et la
disponibilité, qui tend vers la
dissolution de son être dans cet écart violent entre deux langues (A.Khatibi,
1974, pp.45-46). La voix/voie
du traduire serait en quelque sorte le chemin qui permet au lecteur de faire le
voyage, et le parcours de deux pensées qui se trouvent réunies en une ;
qui projette le déplacement, la déprise (...)
traduire privilégie l’imminent. Il refuse
le déterminent, le catégoriel. Pour autant, il ne dissimule pas, préférant
simuler, sachant qu’il est à la place de, il ne veut pas se mettre en place trop
précisément (G.Mailhot, 1985).
Dans cette perspective, traduire peut être
en apparence confrontation entre deux organismes linguistiques, deux réalités,
deux textes, celui qui est déjà là et celui à venir, aux exigences desquelles
il faut répondre afin de saisir la réalité du traduire qui consiste en la
détermination de ce que l’on peut et doit
traduire (ce que l’on est effectivement en mesure de traduire), c’est donc
reconstituer le texte-source dans la perspective de l’écriture cible (M.B.
de Launey, 1986), ce qui suppose
qu’un texte ne nous est jamais complétement étranger, et inversement, nous en
avons donc une précompréhension résultant de notre tradition, nous permettant (nous
obligeant même) de jeter sur lui tel regard et non tel autre. Le rapport entre
le texte source et le traducteur tend à saisir la codité traductive de l’original afin de la formuler dans la langue
cible.
Traduire, serait-ce, le moyen de produire un
« méta-texte » comme le
souligne F.Ravaux ; aussi, le texte/traduction peut être considéré comme
le produit d’une lecture interlinguistique, faite
à partir du texte de départ mais qui tient déjà compte des restrictions et
idiosyncrasies du langage cible, une
activité qui fait succéder la création à l’interprétation, la constitution du
texte d’arrivée à la compréhension du texte de départ, elle est une
activité (à la fois) dissociative du
texte de départ et une activité associative ou synthétique qui donne le texte
d’arrivée. (In Fabula, 1986, p.69).
Quel que soit le chemin emprunté pour expliquer et analyser le
« traduire », il est scientifique et mystique, général et
particulier, communautaire et individuel, littéraire et linguistique, déconstruction
et reconstitution.
Sourciers
et cibilistes
L’histoire de la traduction a toujours été
marquée par un dualisme opposant les sourciers aux cibilistes… Que recouvre
cette terminologie ? Lequel du sens ou du style, est prioritaire et
important à faire passer dans la traduction ?
La pratique et la réflexion sur la
traduction se trouvent ainsi divisées en deux camps, et par là posent le
problème en terme de choix et de priorités, et non en terme d’éthique
littéraire, et ce depuis la célèbre prise de position de Cicéron mentionnée
précédemment…Cependant, force est de constater que, depuis cet adage, le
problème reste toujours posé de la même manière –dualiste et par opposition- et
qu’en dépit des apparences, la nouveauté n’est que terminologique. Que veulent
dire des termes comme verres colorés et
verres transparents, sourciers et cibilistes, équivalence
dynamique et équivalence formelle,
ou encore traductibilité ou intraductibilité ?
La position qui tend à croire que tout texte
est traduisible ou traductible caractérise le clan des
sourciers, amateurs de (verres colorés) et qui pratiquent l’équivalence
formelle. Les défenseurs de cette position ont pour démarche de rester le plus
près possible du texte-source au risque de produire des traductions savantes ou
philologiques. L’autre position est celle qui parle souvent d’intraduisibilité ou intraductibilité et représentée par le clan des cibilistes,
amateurs de verres (transparents) et qui optent pour l’équivalence dynamique.
Les premiers pratiquent donc le mot à mot, qui tend à ne jamais faire oublier
au lecteur qu’il est en train de lire une traduction, et produisent ce qui est
qualifié de traduction cartepostalisante ;
les seconds font tout pour que la traduction donne l’impression que l’original
a été directement écrit en langue cible, produisant des traductions
ethnocentriques.
Les sourciers sont ceux qui en traduction ou en théorie de la traduction s’attachent au
signifiant de la langue du texte-source ; quant aux cibilistes, ils entendent respecter le signifié d’une parole qui doit
advenir dans la langue-cible (J.R.Ladmiral, 1987, pp.33-42), qu’on appelle également les
sémantistes de la traduction. Parmi les premiers, des traducteurs théoriciens
tels Benjamin, H.Meschonnic ou A.Berman. Parmi les seconds, il y a G.Mounin,
E.A.Nida, Ch.Taber, Efim Etkind et bien entendu J.R.Ladmiral.
Il n’y a donc pas dans la pratique et la
théorie de la traduction qu’une seule et unique alternative. Si l’on n’est pas
cibiliste, l’on ne peut être que sourcier. En outre, cette distinction part du
principe que les seules composantes d’un texte sont le sens et le style, l’un
tendant au communautaire et l’autre à l’individuel et au particulier.
Où est donc passé le texte en tant qu’entité
agissante sur le devenir du fait littéraire généralement ?
C’est la question qui vient à l’esprit
lorsque l’on constate que cette profusion de réflexions n’a toujours pas réussi
à s’extraire du clivage sens/style, et lequel des deux est prioritaire.
Aussi, ne serait-il pas pertinent, au moins
dans un premier temps de poser l’axiome en termes de parti-pris au profit ou au
dépens de personnes, même si cette position ne fait à son tour que reformuler
la question, c’est-à-dire, en termes de sujet-traduisant inscrit dans
l’écrivance et non seulement un acteur médian entre une langue et un lecteur. Toutefois,
doit on prendre le parti de l’auteur ou bien celui du lecteur ? Cette position
laisse au moins entrevoir une troisième voie, celle d’une tentative de
conciliation entre le droit de l’auteur à être respecté à travers son œuvre, et
le droit du lecteur à percevoir autant qu’il soit possible l’œuvre, au même
titre que le lecteur du texte-source.
Equivalences
Dans les tentatives de définition de ce
qu’est la traduction ou l’opération
traduisante, on rencontre souvent le terme équivalence. Chez Ladmiral il s’agit d’équivalence traductive, chez E.A.Nida il s’agit d’équivalence dynamique, chez d’autres
comme W.Benjamin, H.Meshonnic ou A.Berman il s’agit d’équivalence formelle ou encore d’équivalence fonctionnelle, comme chez Todorov.
L’équivalence dynamique de E.Nida est des
Cibilistes ne manque pas de susciter des réserves, essentiellement de la part
des sourciers. Ainsi, selon A.Berman (1987), cette équivalence dynamique
présente la traduction comme une transmission du sens qui doit en même temps le
dépouiller, le nettoyer de tout ce qui paraîtrait étrange ou étranger.
H.Meschonnic (1987, pp.75-80), va plus loin et qualifie cette notion d’alibi linguistique où la traduction
une fois de plus se trouve réduite au sens, à la langue. En outre, l’équivalent
n’est que paraphrase et synonymie, car il produit en général plus de
pseudo-traductions que de véritables traductions. L’équivalence procède de
manière souterraine d’un rapport de force entre cultures qui se répercute sur
le texte original et sur sa traduction qu’on le veuille ou non.
Lorsque nous sommes en présence d’une
culture dite « établie », celle-ci tend à intégrer l’original, et le
traducteur évite l’exotisme, le néologisme ou les innovations stylistiques pour
ne pas provoquer la langue d’accueil, qui est souvent la sienne. D’un autre
côté, lorsqu’une littérature est en état de crise, elle tend plutôt à
accueillir les innovations en maintenant autant que possible les
caractéristiques de l’œuvre traduite.
Il est donc évident que le clivage
traditionnel qui opposait les Ut orator
aux Ut interpres a survécu et fait
encore des adeptes, divisant praticiens et théoriciens de la traduction. Cependant, ce clivage révèle que les
problèmes théoriques de la traduction ne sont pas vraiment affaire de choix ou
de priorités, mais sont plutôt provoqués par la prise en considération ou non,
de la nature et de la fonction du texte à traduire d’une part, et de l’identité
et de la réceptivité du lecteur de la culture cible d’autre part.
Le problème est
donc à poser, au moins dans un premier temps, en termes d’identité du texte. Le
texte sacré, la prose, la poésie, ou encore le texte philosophique ne procèdent
pas tous de la même logique. Le texte sacré exige la fidélité à la parole
divine. Le texte littéraire ou philosophique (toutes proportions gardées)
découle d’une tout autre logique, sauf si au cours de son histoire il a acquis
un caractère sacral. Ne citons ici que les grands textes littéraires et
philosophiques de l’antiquité qui ont suscité pendant au moins vingt siècles
des traductions successives et parfois simultanées. Par ailleurs, cette
abondance de traductions d’un même texte à travers l’histoire, le cas du Coran,
de la Bible, de l’Odyssée, par exemple nous révèle deux choses : d’une
part une superstition qui crédite les textes anciens de perfections. D’autre
part, qu’est ce qui nous pousse à retraduire un texte, est-ce entre autre la
peur qu’il ne vieillisse ? En réalité l’original ne vieillit pas, mais ce
sont ses traductions. Ceci accrédite la thèse à laquelle nous croyons, que
toute traduction est une Actualisation.
Outre les notions d’équivalence dynamique et d’équivalence formelle, il y a ce que T.
Todorov a appelé l’équivalence
fonctionnelle, qui assigne au texte à traduire une fonction littéraire,
philosophique ou poétique, et fait de la traduction, une tentative de
transposition de la fonction du texte dans la langue et culture cibles. Cette
position est moins restrictive que les deux autres, mais elle a aussi ses
limites, car nous savons qu’un texte ne peut avoir la même fonction dans deux
cultures différentes et parfois opposées. Un texte pris comme le représentant
d’une culture ne peut malheureusement pas représenter une autre dont il n’est
pas le produit. Peut-on voir en Chrétien de Troyes (traduit en langue arabe) un
innovateur ou un auteur inégalable principalement pour ce qui est de la
Cortézia ? Certainement pas…
Le
contexte au singulier et la singularité du texte.
Un texte est lié à la langue d’un pays et d’une
époque mais la traduction de ce texte dans une autre langue est liée aussi à un
moment de cette autre langue et doit donc souvent être recommencée. Le texte
original sera toujours ausculté dans son contexte originel, mais le traduire
c’est chercher à en livrer la jeunesse à un autre peuple d’un autre temps. La
traduction doit parler sans que le lecteur ait à se dépayser pour l’entendre.
Non qu’il faille volatiliser le texte en tics à la mode d’une saison, comme des
vêtements de dames ou des philosophes. Quand un texte parle au cœur, ses
traductions doivent prendre pied sur un langage maternel et non se pencher sur
quelque éphémère jargon. (Grosjean, 1987).
Ce propos démontre la complexité de l’opération traduisante. Qu’il faille
s’occuper du texte à traduire et rien que de lui, là est le but de la
traduction. Mais le texte n’est pas un produit fini, résultat, démarche et lieu
de convergence d’un nombre d’éléments plus ou moins importants.
Dans l’opération
traduisante, un texte ne peut avoir aucune portée en dehors de son
contexte. Dans l’autre langue, il sera un transfuge perméable à toutes les
influences et à toutes les interprétations. Le contexte détermine et identifie
le texte, permet la sauvegarde du caractère particulier du texte ; l’opération traduisante devient ainsi
une appropriation par affinités.
La définition la
plus répandue autant chez les contextualistes que les a-contextualistes est que
le contexte est ce à quoi le sens est
relatif (F.Latraverse, 1987). Aussi,
s’inscrit-elle dans la droite ligne de la Pragmatique, laquelle se donne pour
objet l’étude du langage en contexte, contrairement à la syntaxe et la
sémantique, par exemple, qui considèrent la phrase en elle-même indépendamment
de ses occurrences et de ses usages. Cette précision est faite dans le but
d’indiquer qu’une traduction qui ne se baserait sur la sémantique, serait d’une
certaine manière inopérationnelle et inachevée. La prise en compte du contexte
devient prioritaire, appelant des précisions, car pour ce qui est de la
traduction ce n’est pas le code
linguistique qui fait problème, mais le contexte qui porte en lui des degrés de
signification. Sans contexte, le code est incomplet car il ne renferme qu’une
partie du message (E.T. Hall, 1979). En situation de communication (la
traduction n’existe que par le communicable), le code linguistique obéit à
plusieurs paramètres, notamment :
*Le sujet ou
l’activité. (Le sujet ou le thème dans lequel on est engagé dépend énormément
de l’intérêt ou du désintérêt de chacun). *La situation. (Elle détermine ce qui
est perçu et ce qui est ignoré. *Le statut dans un système social. (Il a une
influence sur le choix des centres d’intérêt). *L’expérience passée. *La
culture.
Dans le cadre de la traduction, ces éléments
contribuent de manière directe ou indirecte à l’élaboration du message à
communiquer, et donc, dans le cadre de la traduction, à la détermination du
traduisible. Cependant, toutes les cultures ou tous les textes n’ont pas un
contexte à valeur absolue, il y a des cultures à contexte « riche »
et d’autres à contexte qui l’est moins, ce qui suggère que l’appartenance du
contexte à telle ou telle extrémité de l’échelle détermine la totalité de la nature de la communication, et représente
les fondations sur lesquelles viennent s’appuyer tous les autres comportements
(y compris le comportement symbolique),plus encore le contexte peut être
représentatif d’un certain nombre d’éléments selon où l’on se situe et selon la
subordination qu’on veut lui donner, comme :*Les objets ou individus présents dans la situation d’énonciation ou
évoqués par elle.*La totalité des déterminations qui constituent la situation
de parole.*L’ensemble du comportement du locuteur et de ses auditeurs.*Ce que
l’on sait ou croit au sujet de ces objets, de ces comportements et de leurs
auteurs. *L’identité des participants
(avec les diverses catégories qui permettent d’en parler). *Les paramètres spatio-temporels. *Ce que l’on sait ou croit savoir à leur
sujet et au sujet des événements qui surviennent dans le cadre qu’ils
définissent. *les émissions verbales
antérieures ou concomitantes.*Les intentions poursuivies, apparemment ou non,
par les locuteurs. *Les opinions des
auditeurs quant à ces intentions. (F. Latraverse, 1987).
A la lumière de ces divers éclairages, il
est incontestable qu’en acte de communication et de traduction que le contexte
est prioritaire dans une perspective d’objectivation de l’acte traduisant et
des résultats traductifs.
Mais à notre avis, il n’y a pas un contexte
unique qui opère dans le cas de la traduction de la même manière dans les deux
textes, cultures ou langues, mais il y a des contextes qui collaborent à
l’élaboration du texte (traduction).
Pour illustrer ce propos, imaginons une
situation tout à fait plausible. Prenons un texte appartenant à une période
méconnue de l’histoire d’un pays ; l’absence d’éléments historiques, par
exemple, fait du contexte de ce texte un contexte « pauvre » ;
nous prenons ce texte et nous le traduisons en français actuel, (nous supposons
par ailleurs que le français est à contexte riche). Nous aurons en présence le
texte original à contexte pauvre et la langue d’accueil à contexte riche. Que
faire pendant l’opération traduisante,
enrichir le contexte pauvre du texte original en manipulant la langue
d’arrivée, ou appauvrir la langue d’arrivée et son contexte pour les mettre au
même diapason que l’original. Dans un cas comme dans l’autre, il y aura un
hiatus. Face à cette situation, deux possibilités s’offrent à nous : soit
de chercher ou de créer ce que Katz a appelé le contexte critère, soit de prendre en compte ce que nous avons
appelé les contextes traductifs qui font le pont entre deux textes autorisant
une traduction cohérente, qui oscient
entre l’objectivité présumée et la subjectivité intrinsèque de toute
traduction.
Les contextes
auxquels nous faisons référence sont :
1)
Le contexte interne.
C’est ce que nous pensons être l’agencement
des éléments grammaticaux et syntaxiques, de telle sorte qu’ils créent des
caractéristiques stylistiques permettant d’identifier le texte. Il s’agit ici
des particularismes du texte dans son étape de création et sa mise à la
disposition du lecteur.
Nous pensons que le texte que nous avons en
face de nous n’est que la toile achevée, et que le sens qu’il nous offre,
l’effet qu’il produit sur nous, n’est autre chose que la conjugaison plus ou
moins réussie d’éléments constitutifs du texte. C’est cela, le contexte interne
qu’il faut mettre en évidence avant toute entreprise de traduction. Voilà, en
d’autres termes, ce que C. Zins appelle l’intériorité
du texte. Dans cette étape, le traducteur doit aller voir d’où vient le dire de
l’autre textuellement.
2)
Le contexte externe.
C’est ce que nous pensons être les
caractéristiques et déférences permettant au lecteur de situer le texte dans
telle ou telle tradition littéraire par exemple. Si, pour le contexte interne,
l’on s’attaque à l’opération de création du texte, c’est à dire au rapport
entre l’auteur et l’écriture, le contexte externe, lui, s’attache plus à la
réception du texte ; celui-ci ne peut être soumis à l’opération traduisante sans que l’on mette au préalable ses
références en évidence : vers où va-t-il ? A qui
s’adresse-t-il en tant qu’original ?
3)
Le contexte cible.
C’est le contexte récepteur qui,
indirectement ou directement, intervient dans la phase du passage du texte
original à la traduction résultat. C’est l’élément dont le traducteur tient
compte soit consciemment, soit inconsciemment, sachant qu’il s’adresse à tel
type de lecteurs ou tel type de société.
Le contexte vu sous ces trois aspects nous
permet d’aborder la traduction et les questions qu’elle pose sous un éclairage
nouveau. C’est à dire qu’à chaque étape de l’opération
traduisante nous sommes interpellés par l’un ou l’autre élément sans
toutefois oublier le triple objectif poursuivi : écouter l’original
attentivement, le relier à sa culture, et tenir compte des exigences du
contexte cible (langue et culture d’accueil).
Cependant, reconnaissons les limites de
cette hypothèse, en ce sens que dans la pratique elle ne peut fonctionner qu’en
rapport étroit avec d’autres notions, et en priorité celle de l’éthique de la
traduction et du traduire. Certes, cette démarche reste un idéal auquel tout
traducteur doit parvenir et qu’il est difficile de faire preuve d’une
objectivité inébranlable dans un domaine où règne surtout le subjectif.
Dans cette relation entre deux textes qu’est
le traduire, il y a rapports de forces, où inévitablement l’une des deux
langues par l’intermédiaire de son histoire et de son passé culturel exerce une
pression sur l’autre. Dans la majorité des cas c’est la langue cible (culture,
civilisation et même, importance économique et politique) qui l’emporte, car
appropriation oblige, et inversement.
L’analyse du rapport traduction/contexte
nous a permis d’avancer un certain nombre d’idées comme les divers contextes,
les contextes riches et pauvres, le contexte critère, et enfin le rapport de
forces entre textes dans l’opération
traduisante.
Ces diverses idées nous montrent que la
traduction ne peut nullement être considérée comme un simple exercice interlingual
ou un simple objet de communication. La traduction est également et avant tout,
un acte de création littéraire qu’il conviendrait d’analyser et d’étudier comme
tel.
Traduire, est un acte de création
littéraire, car signifiant re-exprimer, actualiser autrement ce qui n’a jamais
cessé d’exister. Créer, c’est reformuler ce qui germe en soi et dont les
fragments appartiennent à l’autre, aux autres ;donner vie autrement dans
un autre idiome, à la chose dite par l’autre, sans oublier qu’elle lui a
appartenu exclusivement à un moment donné de son histoire et que notre rapport
actuel à elle, elle est susceptible de nous appartenir, et de se prolonger
autrement par l’intermédiaire de la lecture, laquelle doit-être responsable et
bien faite, car, n’est pas lecteur de traductions qui veut…
Traduisible
et intraduisible
L’intraduisible
n’est pas uniquement ce qui ne passe pas dans l’autre langue, mais également ce
qui passe très mal. Par l’intraduisibilité, il y a une double auto-affirmation,
celle de l’original et celle de la langue d’arrivée qui peut se révéler ou par
sa résistance ou par sa facilité capable ou non d’accueillir (tout en restant
elle-même) le propos étranger à priori. La question qui se pose par ailleurs
n’est autre que de savoir si l’original « mérite » d’être traduit et
si la langue d’accueil est « digne » et est « capable »
d’accueillir ou non le texte-autre. Ainsi, la traduction serait l’espace-temps
où se révèlent des rapports complexes dépassant les dimensions linguistiques
pour être de l’ordre de l’idéologique si ce n’est du civilisationnel.
Le genre qui
révèle cette complexité du traduisible et de l’intradiuisible est bel et bien
la poésie. Théodore de Banville qualifiait la poésie d’intraduisible, d’autres
théoriciens n’en pensent pas moins. Mais, la réalité du problème n’est pas de
s’interroger si la poésie est traduisible ou non, mais si les méthodes
élaborées pour la prose sont ou non adaptées à la traduction poétique. Le
poème, de par sa rythmicité, son oralité/vocalité, se trouve être le point de
convergente de toutes les composantes des cultures, voire des civilisations qui
par leurs n’ont pas les mêmes moules poétiques. Par ailleurs, le poème procède
de choix métriques, poétiques, thématiques, voire créatifs langagièrement
parlant ; il est donc subjectivement marqué (que ce soit par le poète ou
par la culture) à laquelle il appartient.
Comment donc
appréhender la traduction de la poésie ?
Partant du principe que toute traduction
poétique est un choix, privilégiant une facette du texte au détriment des autres,
Efim Etkind affirme que toute
traduction poétique est une métatraduction : en recréant le poème, on est
obligé de puiser à des sources qui sont extratextuelles.(…) la phraséologie
spécifique de chaque genre (élégie, ode, épître), les métonymies habituelles
ainsi que les allégories et les périphrases fourniraient au traducteur les
éléments nécessaires pour remplacer ou compenser ce qui doit tomber au cours de
la traduction à cause de la différence des langues, cultures, des traditions et
même des habitudes nationales. De ce genre de métatraduction, il n’y a qu’un
pas à franchir pour arriver à une traduction qui s’écarte assez loin de
l’original pour atteindre des buts voulus par le « poète
secondaire », et puis à une traduction sans original (1987, pp.17-27).
Face à cette
position, il y a celle qui part du principe que tout est traduisible. Alors
dans une perspective platonicienne, la
traduction (laisse tomber) la corporéité en s’élevant au- dessus du non
sensible. Cette position fait apparaître que le sens est détachable de la
lettre, le signifiant du signifié, le sensible du non-sensible, et Cette séparation, dans sa violence même,
montre que, dans le langage, le seul élément vrai, c’est à dire autonome,
immuable et invariant, c’est le sens. (…) Le sens n’est plus dans une langue, il est devenu cet invariant passant
d’une langue à l’autre et donc se distançant de chacune (A.Berman,1987, pp.63-74). La pierre de touche du vrai langage, c’est la
traduisibilité. Et ce qui, dans une langue, ne se laisse pas traduire, c’est ce
qui ne concerne pas sa vérité de langage. Seul le vrai langage est traduisible,
seul ce qui est commun, ce qui est communicable par-delà l’homme, mérite d’être
traduit et se trouve en posture d’être traduit.
Qu’en
est-il de la traductologie ?
Selon M.Pernier
(1983), la traductologie ne doit pas s’assigner comme unique but de décrire et
de mettre à jour les problèmes et procédures de l’opération traduisante, elle
doit également expliquer le pourquoi de ces procédures et leur fonctionnement,
car sans cela, la traductologie serait un discours sur la traduction et un vain
propos de la traduction sur elle-même.
Toutefois, expliquer le fonctionnement du
traduire pour justifier l’emploi de tel ou tel procédé, n’est pas suffisant
dans une perspective théorique. Ne faut-il pas prendre la traduction, sa
fonction, sa démarche, son but et ses stratégies, comme objets d’investigation,
expliquer le pourquoi de telle ou telle
tendance dans le traduire, voir comment, dans la majorité des cas, traduire
apparaît comme un exercice de style, servant plus de miroir au traducteur qu’à
celui qui est traduit.
L’école de Paris à travers les travaux de
Seleskovitch et Lederer (1984) pose le postulat que la traductologie doit se
réclamer d’une ontologie qui n’entend ni
pénétrer les arrières pensées d’un auteur individuel (…), ni étudier
l’instrument qu’il utilise -sa langue-. Son objet n’est donc ni du domaine
linguistique ni du domaine psychologique, il est du domaine de la réception.
Elle prétend dégager ce que chacun comprend d’une parole qui lui est adressée
ou d’un texte qui lui est destiné, le CE étant le sens de ces paroles ou de ces
textes dont le traducteur fait son objet, ni la langue, ni les intentions d’un
auteur, mais ce que son parler veut. Cette position, tout en étant partagée
par d’autres penseurs, ne peut suffire, le repérage des stratégies traductives
au niveau de la langue, montre combien les choix opérés par le traducteur
créent chez le lecteur une certaine vision du monde qui lui est étranger,
pouvant donc induire présupposés et clichés…
La linguistique
a apporté énormément à la réflexion sur les problèmes que pose la traduction,
-les travaux de G.Mounin et de A.E. Nida en témoignent-, mais elle n’a pas
répondu à toutes les questions que celle-ci se pose et pose aux chercheurs dans
d’autres disciplines comme la philosophie, par exemple. La linguistique avec
toutes ses branches, influencée par des disciplines plus ou moins connexes, n’a
fait que considérer différemment la traduction.
La traductologie serait-elle le moyen
permettant l’objectivation du texte/traduction, car elle révèle le rapport
constant qu’entretient le texte littéraire en tant qu’objet de traduction avec
toutes les composantes dont le texte lui même n’est que finalité. Nous voulons
dire par là que le texte n’est nullement à prendre uniquement en tant qu’objet
fini et autonome, mais comme l’aboutissement d’une démarche à la fois
linguistique, psychologique, anthropologique, littéraire et créatrice. Le texte
est ce qui n’a jamais cessé d’exister et qui est toujours à renouveler, à faire
exister, à faire vivre, par un autre style ou par une autre langue, et à
travers une autre personne ou un autre discours. La traductologie se fixe pour
but la description du mécanisme de la
compréhension en décrivant les mécanismes de la traduction (Selesckovich,
1984). Celle-ci est fondée non plus uniquement sur l’analyse des composantes
linguistiques du texte mais également sur son interprétation.
Comme nous l’avons dit précédemment, on
traduit toujours un texte et non une langue, mais on commence toujours par
traduire la langue du texte. En outre on ne traduit pas un texte sans tenir
compte de ses différents contextes (interne, externe et cible). Le discours,
donc, à traduire est vu du point de vue de la signification préexistante en
langue, et du point de vue du sens que composent des unités pour reproduire un
message textuel.
La stratégie du traduire dépend de la
combinaison de tous ces éléments. Le texte est à première vue traduisible, car on s’attache à l’emploi
qui est fait de la langue, emploi concrétisé par le discours que véhicule le
texte. Dans ce sens, la traduction apparaît comme la synthèse de ces multiples
comportements face à un texte ou à une œuvre littéraire.
Par ailleurs, comme le texte ne peut exister
en dehors de sa langue, de son discours et de son contexte, il ne peut exister
non plus en dehors de son producteur – émetteur – et de son lecteur
-récepteur-. Cependant, comme le disait P. Valéry, il n’existe pas de vrai sens d’un texte, car, toutes les lectures
d’un texte sont possibles. Ainsi, faut-il dans le cadre de la traduction, outre
le repérage par le traductologue (et non le traducteur) de la stratégie de
réception. De ce fait nous avons affaire à deux types de textes, soit à des
textes ouverts qui permettent une lecture ouverte car son écriture l’est ;
soit à des textes fermés permettant des lectures fermées car leur écriture
l’est aussi. On ne lit pas de la même manière un texte mythologique et un texte
sacré.
Mais, le texte est ouvert à quoi ou fermé à
quoi ? Nous arrivons là à la notion d’interprétation. Cette notion est
très importante dans le cadre de la traduction, nous en avons déjà parlé, la
définissant en tant qu’acte précédant la traduction et peut elle même être acte
de traduction car elle décode en quelque sorte le texte original.
Pour résumer, nous pensons que la
traductologie s’occupe de toutes ces opérations pour mettre à nu les rapports
visibles et invisibles au sein de la traduction et chemin faisant au sein de
l’original.
Il apparaît à travers cette conception de l’opération traduisante, que le texte à
traduire ne peut pas être un produit fini, un corps statique ; c’est un
mouvement perpétuel du signe et du sens. Le texte est une mouvance, et le
traduire c’est cerner les limites de cette mouvance.
La traductologie se veut réflexion de la traduction sur elle-même à partir de sa nature d’expérience. Son
ambition, selon A.Berman, n’est pas
d’échafauder une théorie générale de la traduction (au contraire, elle
démontrerait plutôt qu’une telle théorie ne peut exister, puisque l’espace de
la traduction est babélien, c’est à dire, récuse toute totalisation) est malgré
tout de méditer sur la totalité des « formes » existantes de la
traduction (A.Berman, 1985).
Comme nous
l’avons précisé plus haut, d’une part la traductologie digne de ce nom est
celle qui s’attache au texte en tant que produit d’un ensemble d’éléments
anthropologiques, linguistiques et littéraires ; et en tant que reflet
d’une interprétation individuelle de l’univers susceptible de faire écho à ce
qui a précédé dans le même domaine, et à proposer simultanément une nouvelle
vision de l’univers.
Références
bibliographiques.
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Lille, PUL, coll. Etude de la traduction, 1992.
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Paris, Seuil, 1967.
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siècle, Paris, Belfond, 1988.
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structurale, Paris, Flammarion, 1971.
J.L. Borges, Aleph, Paris, Gallimard,
coll. L'imaginaire, 1986.
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française)
U. Eco, Lector in fabula, Paris, Grasset, 1985.
Revue d'Esthétique, n°12, Privat, 1987.
Fabula, Lille, PUL, 1986.
Europe, J.L. Borges, n°679/680, Paris,
1985.
Les tours de Babel, Mauvezin, TER, 1985.
Ouvrage
d’analyse des traductions :
H. de Castries, Les Gnomes de Sidi Abd
Er-Rahman el-Medjedoub, Paris, E.Leroux, 1896, réédition A.Sadiq, Marrakech,
2013.
MonsieurSadiq Excusez moi mais vous devriez,après votre permission,réécrire votre cours distiné au S3 non seulement qu'il est si compliqué mais il est inconpréhensible plus que tous ce que j' ai lu jusqu'maintenant et ce n'est pas seulement mon point de vue mais celui de beaucouq d'étudiants
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