Abdelhaï SADIQ
Marrakech, 2013/2016.
S5. FLMSH.
Dans le processus
traductif d’oeuvres d’auteurs tels que Kafka, Dante, Dostoïevski, Shakespeare,
Hallaj, Khayyâm ou encore des textes sacrés tel le texte coranique, les
traductions françaises dont nous disposons sont dans leur majorité réalisées
par des traducteurs originaires de la culture réceptrice. Pourquoi en est-il
ainsi ? La traduction serait-elle perçue comme une appropriation et non comme une offrande ?
Dans ce sens, la traduction peut-elle prétendre à l’objectivité et
comment ?
A la fois subjective
par les choix et les démarches, et objective par les visées et les prétentions,
la traduction se trouve être paradoxale. De là résultent d’autres
interrogations. Quelle attitude avoir face au texte à traduire ? Quel est
ce parfait traducteur auquel pourrions-nous faire confiance ? Quel rapport
peut-on avoir avec les textes de départ et d’arrivée ? Enfin, sommes-nous
en mesure de juger une traduction, et si cela est possible voire pertinent,
selon quels critères d’appréciation et d’évaluation un tel travail est
possible ? C’est à cet ensemble de questions et à d’autres que le parcours que
nous proposons apportera quelques éléments de réponse, sachant que la
problématique traduction touche et
puise dans toutes les disciplines des sciences humaines, sociales voire
scientifiques.
De notre point de
vue, traduire signifie, être à l’écoute de l’étranger incapable de goûter
l’original d’une part, et être attentifs aux prouesses que les langues de
départ et d’arrivée peuvent réaliser, se faisant étrangement échos, chacune à
elle-même, et dialoguant entre elles à travers leurs mouvements et leur
imprévisibilité, d’autre part.
Ce rapport de
réciprocité entre original et traduction, entre langues de départ et d’arrivée
tout en visant une certaine reconnaissance mutuelle, reflète étrangement le
rapport auteur/création au sujet duquel J.L.Borges écrivait Je compris à la dernière page, que mon récit
était un symbole de l’homme que je fus pendant que je l’écrivais et que, pour
rédiger ce conte, je devais devenir cet homme et que, pour devenir cet homme,
je devais écrire ce conte, et ainsi de suite à l’infini (1986). Dans ce sens la traduction comme la
création n’est que répétition et interprétation, la première sauvegarde une
partie plus ou moins importante de l’original, la seconde donne à la parole une vie qui déborde l’instant et le lieu où elle a
été prononcée ou transcrite (Steiner,1978).
A l’aide des
opinions des uns et des théories des autres, illustration sera faite des
aspects les plus importants de la démarche
traductive et de l’opération traduisante ainsi que
des interrogations qu’elles suscitent. Selon Goethe le parti-pris est la vertu de l’homme d’action, certes, mais ici
dans le labyrinthe que représente le penser
traduire, on ne peut objectivement proclamer que telle théorie ou telle
méthode est meilleure que telle autre.
Aussi, il est
important de poser, de prime abord, la problématique de la traduction et du
traduire d’un point de vue terminologique, d’un point de vue historique,
et du point de vue des théories qui tentent de l’éclairer.
La traduction est
métaphore de l’écriture, oui. Il y a une différence entre traduction et
interprétation, oui. La traduction est un art, oui également. Néanmoins, pour
ce faire, elle a besoin d’une éthique globale plus que du déontologique, qui,
corporatisme aidant, a largement nuit à la réflexion traductive placée ainsi
dans le clivage qui l’inscrit en termes de parti-pris.
La prédominance de
l’auteur ou celle du lecteur se concrétisant par l’élaboration de stratégies
traduisantes et traductives en faveur de l’un ou de l’autre n’ont pas
réellement lieu d’être car le texte n’a d’existence réelle et d’opérationnalité
effective que grâce aux deux ; par conséquent la traduction ne peut se
faire qu’en tenant compte de tous les opérateurs du texte et de son devenir dans
ses prolongements les plus complexes. Ainsi, l’éthique de la traduction et du
fait littéraire se base sur le respect de tous les acteurs du texte original et
de ceux de la traduction, car les uns renvoient aux autres constamment et ne
peuvent fonctionner indépendamment les uns des autres, réciprocité et
reconnaissance obligent. Si l’éthique est une solution pour éviter la
prédominance du parti-pris, elle pose à son tour le problème de la fidélité et
de l’infidélité de toute traduction.
Au sujet de la traduction
d’un passage du Talmud, E. Levinas
s’interrogeait sur les règles de comportement du traducteur face au texte sacré
en posant le problème de la capacité de la traduction des Ecritures à conserver
et à restituer les vertus religieuses de l’original en étant apte à assurer au fidèle le rayonnement qui
anime l’original et à confirmer l’identité (…) du fidèle (1988, p.48).
Cette interrogation sur la capacité de la traduction à restituer le message
originel peut être inversée à savoir si
le texte sacré est capable de supporter le voyage vers une autre langue puisque
son universalité est son apriori même.
On parle, ici et là,
de la traduction infidèle. Qu’est ce qu’alors une traduction infidèle, sinon, tout compte fait, un détournement de
texte. Néanmoins, ne se laissent détourner que les mots mineurs, les textes
mineurs, en quelque sorte les textes qui ne relèvent pas plus d’une tradition
que d’une visée universelle ; bref, ceux qui n’ont ni genre, ni forme, ni
caractère, ni personnalité. La question posée est celle de la place du texte
dans la culture productrice et dans la littérature dite universelle.
Incontestablement il y a une hiérarchie littéraire. Tous les textes n’ont pas
le même statut, même s’ils découlent tous de la création.
Cependant, quels sont les critères qui nous
permettent d’évaluer les dynamismes d’un texte dans leurs présence ou absence
mis en œuvre par les faits traductionnel et traductif ? Est-ce sa capacité
à supporter le voyage à travers le temps ? Est-ce la personnalité ou les
lettres de noblesse de son auteur, ou encore la place qu’occupe, sur la scène
internationale, la culture productrice ? Questions parmi tant d’autres.
Il n’est guère aisé de répondre avec
précision à toutes ces questions ; néanmoins, une chose est sûre, un texte
est indissociable de ses contextes, et ceux-ci sont à prendre en considération
dans tout acte de traduction. Toutefois, la prise en compte de cet élément
exige de la prudence car, dans le cas de la traduction, il est multiple
(interne, externe et cible) d’une part, et par ailleurs, s’agissant d’une
langue étrangère, celle-ci ne
fait-elle pas retentir dans le texte traditionnel, transmis avec tant de soins,
les échos des mondes étrangers ? Ne l’introduit-elle pas, imprudemment,
dans des contextes qui fausseraient, ou du moins, transformeraient le sens
initial et souverain d’un message essentiel. (E. Levinas, idem). Bien qu’il s’agisse là d’un texte
sacré, nous pensons que ce qui est pertinent pour ce genre de textes, l’est
également pour Dérive sur le Nil[1], Lancelot ou le
chevalier à la charrette[2], Gargantua[3], Le procès[4], Anna Karénine[5],Les Amours interdites[6], Ulysse[7], ou encore les Particules élémentaires[8].
Quel comportement doit donc avoir le
traducteur face au texte à traduire ? Qu’il s’agisse d’un texte sacré ou
d’un texte littéraire fondateur, l’éthique du rapport à l’autre
(auteur-langue-culture-civilisation) doit être privilégiée dans une hiérarchie
certes influente, mais pas déterminante. Ainsi, les traducteurs ne manquent pas
de justifier leurs posture par des présentations, qui ne sont en réalité que ce
qui était appelé aux XVIIe et XVIIIe siècles l’Excusation. En guise d’exemple, regardons brièvement les propos
de Masson pour ce qui est de sa traduction du Coran (1967), et de J.Darras pour
la dernière traduction de Under the
volcano de M. Lowry (1987).
Pour D.Masson, il s’agit, tout en restant très proche de l’arabe, de maintenir dans la mesure
du possible les qualités de clarté et d’élégance de la langue française. La
traductrice a tenté dans sa traduction de concilier autant que possible les exigences des deux langues, sachant très
bien qu’il s’agit là d’une entreprise fort difficile dans le sens où la langue
arabe sacralisée par le Coran exige le décentrement de la langue française et
non le contraire. Ici la question de la traduction ne se pose plus, et à juste
titre, en terme de fidélité ou d’infidélité, mais en terme d’exactitude de la
pensée originale voire originelle dans la langue d’accueil, et l’exactitude de
la langue d’accueil exprimant la puissance de la pensée de l’original.
Pour ce qui est de
J.Darras, celui-ci, dans son introduction, critique la traduction de son
prédécesseur (le traducteur, 1948) du roman de M. Lowry, selon lui, Il fallait tout revoir, à commencer par le
titre. Sous le volcan me semble plus aérien, plus léger que l’ancien titre,
dont la lourdeur s’accordait mal à la musique de Lowry. Ce romancier,
d’ailleurs, insiste fortement sur l’épreuve du gueuloir à laquelle il a
soumis, comme Flaubert, la moindre de ses phrases. C’est cela qui m’a le plus
guidé pour cette nouvelle traduction. (…) En fait, les douze chapitres du
Volcan ressemblent à douze fenêtres, avec une syntaxe qu’il fallait absolument
retendre, car c’est en anglais à la fois souple et ferme. Toute la difficulté
de traduire Lowry est là. Ainsi, justifiant sa traduction, ses choix et ses
priorités, il place le problème au niveau des imprécisions, des contre-sens et
des déformations de la précédente traduction, allant même jusqu’à donner des
exemples précis, principalement concernant la fameuse phrase qui revient tout
au long du roman a corpse will be
transported by express ! dans la première traduction, elle est rendue
par un cadavre va être expédié par
express ! dans la sienne parles
morts voyagent toujours en express !. Cette traduction rend à la
phrase, il est vrai, tout son impact, et toute sa portée. Mais, ne s’agit-il
pas là plus d’une actualisation traductive que de traduction à proprement
parler.
Ces deux exemples nous montrent quelques
aspects des précautions que prennent les traducteurs face aux textes sacrés et
face aux grands textes littéraires. Cependant, et dans les deux cas, la visée
est la même, l’universalité. Et si celle-ci est possible par le contenu, elle
l’est moins par la forme, car le passage d’une langue à l’autre, d’une
civilisation à l’autre, le voyage n’est possible qu’aux dépens de l’une ou
l’autre, le message ne risque-t-il pas d’en pâtir.
Que faut-il faire ? Considérant la
traduction comme création littéraire, il est certain qu’on peut parvenir à
atténuer les hésitations qui jalonnent autant l’opération traduisante que la
réflexion traductive.
A notre avis, la traduction est avant tout
une Actualisation, elle s’inscrit
dans un cadre temporel si ce n'est dans une historicité. Un texte, quels que
soient sa nature, son émetteur et son récepteur, dépend du temps et de sa
capacité à profiter des avantages de celui-ci ou à subir ses aléas, car le temps peut constituer une barrière plus
infranchissable que la différence linguistique (G.Steiner, 1978). En outre, traduire/actualiser c’est réécrire un texte où modes et
goûts du jour ne doivent pas être prioritaires tout en étant pris en
compte; c’est la saisie du virtuel susceptible de devenir concret dans l’autre
langue. C’est ce rapport, création littéraire et traduction, actualisation et traduction
présentées dans leur conjugaison qui aide à comprendre les mécanismes du
traduire et de la traduction.
Dans une autre perspective, non moins
pertinente, nul n’ignore qu’une partie des études comparatistes ne peut se
faire qu’à l’aide de traductions. Il n’est pas donné à tous d’être polyglottes
pour étudier l’importance de Voltaire en Allemagne et en Angleterre, ou celle
de Dante en France et en Espagne, ou l’influence du romantisme allemand sur la
littérature française, italienne et anglaise.
Aussi, faire en
sorte que réflexion traductive et littérature comparée soient complémentaires
permettrait de voir dans quelle mesure une analyse comparée des traductions (ou traducritique)
serait possible pour une étude spécifique de l’œuvre littéraire traduite au
moins deux fois ; et si c’est plus, nous pourrions proposer ce que nous
osons appeler transtraduction ou traduction synthétique (traduction synthèse).
Dans cette perspective, la comparaison des
traductions est simultanément et systématiquement associée à l’étude de
l’original. Nous sommes ainsi renseignés
sur le fonctionnement de l’original et sur celui des traductions. Cette
démarche associe explication de texte, analyse formelle du genre et critique littéraire.
En résumé, l’analyse comparative se base sur
l’étude des procédés de traduction, tout comme la critique littéraire, qui,
elle, s’occupe des procédés de création littéraire et du fonctionnement du
texte. En cela, les deux démarches sont similaires, la traduction serait-t-elle
et avant tout une forme de critique littéraire et ne s’occuperait-elle, il
est vrai, que des textes étrangers traduits au moins deux fois dans la même
langue par deux traducteurs différents, l’un appartenant à la culture de
l’original, le second à la culture réceptrice ; les deux appartenant à la
culture productrice ou inversement ; nous pourrions même mettre en avant
le genre (masculin/féminin) ce qui renverrait à celui du producteur de
l’original…nous voyons là que plusieurs combinaisons sont possibles, voire
pertinentes.
Le terrain d’investigation de ce que nous
appelons traducritique est
à-priori vaste et sans limite dont l’intérêt est d’apporter un éclairage
nouveau où l’œuvre littéraire traduite peut être étudiée dans ses spécificités
propres. Celle-ci, à travers l’analyse des traductions, nous renseigne
simultanément sur l’original, sur les traductions successives et chemin faisant
sur les mécanismes et modalités des attitudes lectorales qui font du lecteur de
traductions un lecteur différencié des autres lecteurs.
Nous proposons donc
dans les pages qui suivent un survol théorique contributif à la réflexion sur
la traduction dans son immense complexité sous des angles différents à la fois
définitoires et analytiques.
Les embuscades du texte.
La question du comment
traduire est au centre des réflexions sur la traduction, et aucune des réponses proposées ne peut
prétendre à l’opérationnalité, car le recours à telle ou telle discipline pour
élaborer un processus traduisant et traductif passablement objectif se heurte à
l’imprévisibilité du texte.
De quoi s’agit-il ?
Il s’agit, à notre avis, de la rébellion latente qui parcourt
continuellement toute écriture et toute lecture. Aussi, lorsqu’un texte est
soumis au traduire, concrétise l’imprévisibilité du texte original et l’imprévisibilité
de la langue d’accueil à la fois. Par ailleurs, l’imprévisibilité est cette dynamique
que le texte contient en lui de pouvoir fuir
infiniment la parole grégaire (celle qui s’agrège), quand bien même elle
cherche à se reconstituer en lui ; il repousse toujours plus loin, il
repousse ailleurs, vers un lieu inclassé, atopique, si l’ont peut dire, loin
des tapoï de la culture politisée, -cette contrainte à former des concepts, des
espèces, des formes, des fins, des lois… ce monde des cas identique-, dont
parle Nietzsche ; il soulève faiblement, transitoirement, cette chape de
généralité, de moralité, d’in-différence, qui pèse sur notre discours collectif,
(Barthes, 1978, p.34), représenté qu’on le veuille ou non dans le texte
original et par le « pourquoi traduire » et ses stratégies, que
révèle la traduction.
Un texte voyage d’une langue à l’autre, et révèle autant sa
spécificité que sa capacité à supporter le voyage, certes, l’élément absolu qui
fait voyager un texte révélant son imprévisibilité principalement dans le
cas de la poésie n’est autre que ce que H.Meschonnic appelle (rythme, oralité,
vocalité), et Borges nomme Word’s
music : la musique verbale. (in Europe, 1985) qu’il s’agirait de
rendre dans la traduction d’un poème.
La priorité est à donner
à la musique verbale. Laissons de côté le sens, et ne nous attachons qu’à cette
étrangère musique verbale à traduire. Si seule la mélodie verbale compte, alors
le message verbal importe peu. Que respecte t-on alors à travers cette
démarche ; l’auteur, le lecteur ou le texte ? Aucun des trois
éléments n’est entièrement respecté. Dans cette perspective, traduire devient
un exercice de style, un jeu narcissique, rien de plus.
Mais alors, où est passé
le texte dans sa sémantique qui ne peut être perçue et saisie que grâce et
par la rythmicité ?
Faut-il donc traduire ou
adapter ? Faut il privilégier la littéralité, c’est à dire le respect des
structures du texte, ou privilégier la littérarité, c’est à dire la qualité
littéraire du rendu en une autre langue par exemple ?
Pour notre part le comment traduire ne se pose pas en
termes de priorités, de rapports de force, mais en termes de compromis ou
paradoxalement la subjectivité traductive supplante la supposée objectivité
recherchée.
Traduction et création littéraire
Je m’apercevais que
pour exprimer mes impressions, pour écrire ce livre essentiel, le seul livre
vrai, un grand écrivain n’a jamais, dans le sens courant, à l’inventer
puisqu’il existe déjà en chacun de nous, mais à le traduire. Le devoir et la
tâche d’un écrivain sont ceux d’un traducteur (Proust, 1927, p.37).
Au delà de la métaphore
utilisée par Proust mettant au même niveau traducteur et écrivain par le lien
de la création, il y a cette idée importante que le livre essentiel existe en
chacun de nous et qu’il suffit de le traduire.
Concrètement, traduire un
texte, de par la démarche même, est une création littéraire avec tout ce
qu’elle implique comme souffrances et comme contradictions. Le choix de la part
du traducteur d’un terme plutôt que d’un autre ressemble à la situation de
l’écrivain qui fait choix de telle formulation et non de telle autre pour
exprimer une idée, décrire une situation, ou encore créer une impression.
L’écrivain exprime le
virtuel, le traducteur re-exprime ce même virtuel dans une autre langue. Il
fait acte de création à son tour. De même qu’on ne traduit pas les mots mais ce
qu’ils expriment, de même qu’on ne traduit pas les termes mais ce qu’ils
traduisent. Dans ce sens, et comme l’exprimait Proust, à juste titre, créer et
traduire sont une et même chose.
Le traducteur dans son rapport au texte est exactement dans la même
situation que l’écrivain face à ce qu’il écrit ou ce qu’il a à écrire. Tout
écrit ou pensée écriture renvoie à soi au moins dans sa phase de déroulement.
Il y a là une donnée fondamentale, c’est à soi que renvoie tout mouvement ou
élan voué à devenir écriture dans le sens lisible, du traduisible ; aussi,
c’est à soi même que la traduction
renvoie, encore et toujours. Sa visée peut élire l’autre comme destinataire,
mais dans le temps où elle se déroule, l’opération de traduction n’a toujours
que soi même comme point de butée (E.Durand-Bogaut, 1987).
L’écriture ou la
traduction d’un texte, comme sa lecture, est, par ailleurs, l’affirmation du
texte à travers l’un ou l’autre procédé. Si le texte donne réalité à l’écrivain
par le moyen de l’écriture, c’est pour lui même qu’il se réalise à travers la
lecture et la traduction. Aussi, si le texte s’affirme par le moyen de la
traduction comme il l’est par la lecture, c’est qu’il recèle, au delà de
l’affirmation des pouvoirs de la langue et de l’écrivain, le communicable. Lire ou traduire n’est pas obtenir communication de l’œuvre, c’est faire que l’œuvre se
communique (M. Blanchot, 1955),
dans sa totalité.
Il est dont clair que
création littéraire et traduction sont intimement unies pas lien de
réciprocité. En révélant ce livre originel qui est en nous, nous traduisons le
commun en propre, nous concrétisons le virtuel par appropriation, et lorsque
nous traduisons, nous rendons au propre son caractère communautaire.
Nous entendons par là que tant que nous
n’avons pas écrit ce que nous pensons, l’idée est par essence communautaire,
mais à partir du moment où elle devient signe, écriture, elle est propriété de
son auteur de par la façon dont elle est exprimée, elle passe donc du commun
non exprimé au propre rendu possible à la lecture. En traduisant cet exprimé
(propre), nous lui rendons son caractère
communautaire, ne serait-ce que partiellement. Et plus les traductions se
multiplient, plus le commun se concrétise dans ses infinis et ses
prolongements.
Nous pouvons dire que la
création littéraire est fragmentaire dans un premier temps de cet originel commun à tous, et que la
traduction est unificatrice, car elle tend à recréer l’originel communautaire
par le simple fait qu’il est communicable à/dans une autre langue.
Dans cette perspective, la
traduction, souvent taxée de corruptrice, est tout à fait l’opposé. Elle n’est
nullement dissociative, elle est unificatrice. Son essence philosophique est de
rendre l’universalité de la pensée humaine. Elle ne révèle pas à proprement
parler la pensée, elle la confirme. Car, à notre avis, les cultures n’ont de
différences que formelles, le fond est le même. Et c’est ce fond, commun à tous, que la traduction valorise.
D’aucuns diront que le but
de la traduction est justement de révéler comment ce fond commun à tous les
hommes et à toutes les cultures s’exprime dans chacune d’elles. Cette position
sous entend qu’en s’attachant au fond, présumé commun à tous, la traduction n’a
plus sa raison d’être. Ceci est en partie vrai. Cependant, si nous n’assignons
à la traduction comme but que celui de traduire les formes, et celui de
communiquer des messages, là aussi nous nous engageons dans une impasse.
La forme ou le genre qu’emprunte
un poète pour exprimer une idée ou un sentiment universel, est et restera
local, c’est à dire propre au cadre dans lequel il fut créée et où il
vit ; et vouloir traduire ce poème dans une autre langue, qui elle même
possède ses propres procédés, serait inévitablement une traduction de l’angle
sous lequel le problème est perçu et non celui du procédé stylistique employé.
La traduction-création
est à notre avis re-révélation de
l’originel, à la fois re-formulation
et re-création, qui ne se contente
pas d’habiller différemment l’original, mais révèle cet Etymon, cette culture primitive (première) commune à toutes les
civilisations.
Pendant longtemps on n’a
retenu de l’opération traduisante que
son caractère expressif ; traduire voulant dire exprimer dans une langue
ce qui a déjà été dit dans une autre. C’est pour cela, et quel que soit le
parti pris, celui du lecteur ou celui de l’auteur, que la traduction était
toujours entaché d’imperfection. Il n’est donc pas étonnant que la réflexion
théorique tourne toujours autour du sens ou du style quelle que soit la
formulation employée.
Le rapport que nous avons
établi entre traduction et création littéraire nous amène à dire que la
traduction n’est plus à considérer comme une expression mais comme une
création. Cependant celle-ci ne peut être perçue comme telle qu’à l’aide d’une
double éthique : d’une part une éthique de l’art et de la littérature
applicable à tout texte littéraire, et d’autre part une éthique du traduire,
c’est à dire un certain nombre de règles dont la finalité n’est autre que la Cohésion, au moyen desquelles l’auteur
est respecté et le lecteur également. La traduction n’est plus pensée au niveau
des langues, des textes ou des œuvres, elle est à penser philosophiquement,
éthiquement, et poétiquement.
Traduction et création sont
toutes deux révélation, car Si la
création n’était pas révélation, où serait la finitude de l’écrivain et la
solitude de la main abandonnée de dieu ? (…) Si l’écriture est inaugurale,
ce n’est pas parce qu’elle crée, mais par une certaine liberté absolue de dire,
de faire surgir le déjà là en son signe, de prendre ses augures. (…) Cette
puissance révélatrice du vrai langage littéraire comme poésie, c’est bien
l’accès à la libre parole, celle que le mot « être » et peut
être ce que nous visons sous la notion de « mot primitif » ou de
« mot principe » délivre de ses fonctions signalisatrices. C’est
quand l’écrit est défunt comme un signe signal qu’il naît comme langage
(Derrida, 1967).
Ainsi créer et traduire ne
sont qu’une et même chose, l’un comme l’autre révélant la parole première, la
parole originelle, celle qui avant de faire écho à l’écrivain ou au traducteur
se fait écho à elle-même en prouvant son existence et son pouvoir en dehors des
signes, en dehors des ponctuations ; mais qui sans tout ce décor ne
saurait se mettre en scène et jouer le rôle qui lui incombe depuis l’aube des
temps.
Traduction/Actualisation.
Vu la rareté des travaux,
sur le rapport traduction/actualisation, il nous a paru intéressant d’exploiter
cette voie et de nous interroger sur cette notion d’actualisation pour une
redéfinition de l’opération traduisante.
Toutefois, avant de voir
en quoi consiste l’aspect actualisant de l’œuvre littéraire par le biais de la
traduction, quelques traits définitoires sont nécessaires du fait littéraire.
Les éléments, auteur, traducteur et critique seront ultérieurement présentés.
Un texte n’a de réelle présence que dans la mesure où il
est lu, contenant une lisibilité performative transmissible et transférable en
autres langues. La lecture montre à la fois qu’un texte est imprévisible et
qu’il n’est pas un objet existant en soi qui agirait de la même manière tout le
temps et face à toute lecture. Pourtant un texte écrit, établi depuis des
siècles, présenté à nous actuellement n’a pas changé de physionomie concrète et
matérielle, la ponctuation et les paragraphes sont toujours à leur place.
Qu’est ce qui a donc changé, puisque le message qu’il nous livre ou le discours
qu’il nous tient aujourd’hui est dans la majorité des cas différent de celui
qu’il avait donné hier, serait-ce le sens qui a subi l’épreuve du temps ou est
ce que notre réception diffère de celle des lecteurs d’hier ou parfois de
lecteurs voisins et vivant à la même époque que nous ?
Assurément, la lecture est
plurielle et le lecteur se
trouve être le véritable héros de la
recherche littéraire, dont Reinhold Grimm dénombre trente huit types.
La notion d’actualisation
est indissociable de celle du contexte, comme le sont également le texte et le
lecteur. U.Eco disait qu’un texte tel
qu’il apparaît dans sa surface (ou manifestation) linguistique, représente une
chaîne d’artifices expressifs qui doivent être actualisés par le destinataire.
L’acte de lecture implique une actualisation qui concrétise son incomplétude,
Il est un tissu d’espaces blancs,
d’interstices à remplir, et celui qui l’a émis prévoyait qu’ils seraient
remplis et les a laissés en blanc pour deux raisons ; d’abord parce qu’un
texte est un mécanisme paresseux (ou économique) qui vit sur la plus value de
sens qui y est introduite par le destinataire (…). Ensuite parce qu’au fur et à
mesure qu’il passe de la fonction didactique à la fonction esthétique, un texte
veut laisser au lecteur l’initiative interprétative, même si en général il
désire être interprété avec une marge suffisante d’univocité. Un texte veut que
quelqu’un l’aide à fonctionner (1985), dans ce sens, et sous le signe de
l’actualisation, il apparaît qu’un texte appelle toujours à être complété par
la lecture, plus encore, par la traduction à notre avis.
Ainsi, la
lecture/actualisation est, dans le sens d’U. Eco, interprétative. Certes, mais
l’actualisation comme nous la concevons pour la traduction, est une série
d’étapes qui se concrétise en fin de parcours par la traduction résultat. Il
s’agit de l’analyse, de l’interprétation et de la création ; aussi, elle
est de rendre actuel, d’adapter aux conditions actuelles ou encore de mettre à
jour et de faire passer du virtuel au concret, de la puissance à l’acte.
Ainsi, chaque fois que
nous traduisons un texte, quel que soit le temps qui nous sépare de sa
parution, nous faisons acte d’actualisation. Un texte n’est jamais statique, ou
tributaire entièrement de son contexte dans le sens où celui-ci le figerait
pour toujours. La lecture d’un texte est une actualisation, car elle implique
intrinsèquement un certain nombre de rapports particuliers et privilégiés avec
lui. Si lire ou traduire un texte c’est se reporter constamment à son contexte,
pour pouvoir bien saisir toutes ses intentions, il faut également le penser
capable d’avoir une place actuelle, son actualité est paradoxalement passé,
présent et futur, simultanément et systématiquement, ce qui est susceptible
d’en faire une œuvre littéraire. Toute œuvre littéraire est avant tout et au
départ un texte littéraire, par contre un texte littéraire n’est pas destiné
automatiquement à devenir ou à préfigurer l’œuvre littéraire.
Schématiquement, et du
point de vue temporel, est texte
littéraire tout écrit utilisant les ressources d’une langue donnée pour
créer une situation, un climat, une atmosphère en usant de procédés formels
(genres), structurels, rhétoriques, propres, à première vue, à sa culture. Est œuvre littéraire toute production
littéraire, roman, pièce de théâtre, nouvelle… qui a su subsister après
l’action et su résister aux assauts du temps et des modes.
Certaines pièces de Racine
ou de Molière comme Andromaque ou Phèdre, L’école des femmes
ou l’Avare sont étrangement d’actualité, car elles collent à notre
réalité, sous d’autres habits, utilisant d’autres procédés rhétoriques. Phèdre
ne nous éblouit-elle pas par certaines de ses répliques, surtout quand elles
sont dans la bouche de Silvia Montfort ? Nous nous demandons avec
stupéfaction qui a changé, est-ce le texte, est-ce nous, ou est-ce tout
simplement la mise en scène ? En réalité, ni nous ni le texte n’avons
changé : c’est la mise en scène.
L’actualisation passe donc par cet effet de prisme qui nous fait
croire que nous sommes à deux cents ans de distance et que le texte a voyagé
sans trop de dommage jusqu’à nous.
Par ailleurs, si le Bourgeois
Gentilhomme nous interpelle encore, c’est parce qu’il a supporté le voyage
d’une époque à une autre, car Molière en écrivant cette pièce n’était pas
avant-gardiste, et encore moins un visionnaire. Ses pièces traduisaient une
réalité humaine universelle, commune sous diverses manifestations à toutes les
époques dans l’histoire d’un pays, sinon à toutes les nations.
Actualiser a toujours été
assimilé, à tort, à dénaturer, mais ne se laisse dénaturer que l’inessentiel,
le non pertinent. Tout texte possède une capacité plus ou moins grande à
résister aux assauts du temps et des hommes. Les textes sacrés, et certains
grands textes de littératures connues ou moins connues, comme Œdipe Roi de Sophocle qui inspira
Gide par exemple, le Genji Monogatari des Japonais, ou encore les Mille
et une nuits, ont su résister au temps et aux tentatives de falsification.
Certains diront que ce sont là des textes/oeuvres mythiques. Certes, mais un
auteur n’est jamais destiné à la postérité a priori. Ce qui nous montre que le
plus important est la capacité du texte à résister aux tempêtes qui jalonnent
la traversée des siècles.
J.L.Borges ne disait-il
pas dans des propos prêtés à Averroès que le temps qui mine les palais enrichit les vers. Celui de Zuhair, quand il
l’écrivit en Arabie, servait à confronter deux images : celle du chameau
vieilli et celle du destin. Répété aujourd’hui, il sert la mémoire de Zuhair et
confond notre affliction avec celle du poète mort. La figure avait deux termes,
maintenant elle en a quatre. Le temps argumente le contenu des vers et j’en
sais qui, à l’égal de la musique, sont tout pour tous les hommes (1986).
Le temps argumente
le contenu du vers.
Toutefois, il le fait de
deux manières : celle dont parle Borges lorsqu’il évoque la multiplicité
de l’emploi du vers qui engendre la multiplicité des sens et donc
d’interprétations de la figure, mettant le chameau et le destin sur le même
plan. Cette manière confirme le rôle de l’actualisation. La seconde manière
dont le temps -à travers les acteurs que nous sommes- augmente le contenu du
vers, est la multiplicité des lectures qui, dans ce cas, ne fait pas perdre au
vers son sens premier, mais le perpétue en faisant recouvrir aux même mots une
réalité plus vaste et appelle d’autres associations.
Toi aussi, tu es, ô palme,
en terre étrangère.
Singulier privilège
de la poésie : des mots écrits pas un roi qui regrettait l’Orient me
servirent à moi exilé en Afrique, pour exprimer ma nostalgie de l’Espagne (J.L.Borge, 1986). Singulier privilège en
effet que celui de la poésie, qui peut traverser le temps, voyager de pays en
pays, épouser telle ou telle langue sans perdre de sa fraîcheur ni de sa
jeunesse. Cette parole première s’actualise d’elle même, elle est die reine Sprache (pur langage), l’habit
importe peu : ce qui lui permet de résister à toutes les attaques et de
parler toutes les langues c’est son pouvoir intrinsèque de dépasser les
manipulations de et par les mots.
Actualiser, en littérature, ce n’est donc pas mettre au goût du
jour, ni faire de l’ethnocentrisme en traduction. Entre la traduction cartpostalisante et la traduction ethnocentrique il y a un chemin que tout
traducteur doit emprunter pour finir en cohérence et pertinence absolues. Actualiser
en traduction est cette singulière capacité d’évaluer la traductibilité du
texte autre, et de voir en quoi simultanément et sa langue et la nôtre
suggèrent l’universalité inhérente au factum littéraire, autrement dit, il
s’agit d’actualiser l’essence permanente de notre propre langue qu’il a en lui,
nous interpellant ainsi doublement. Traduire/Actualiser chemine vers la
création d’un texte qui formulerait le lien existant entre deux langues et
par-delà les langues elles-mêmes, et faire passer le message virtuel senti dans
notre langage mais exprimé par l’autre, pour aboutir en fin de parcours à notre
langue.
Toute parenté
supra-historique entre les langues repose bien plutôt sur le fait qu’en chacune
d’elles, prise comme un tout, une chose est visée, qui est la même, et qui
pourtant ne veut pas être atteinte par aucune d’entre elles isolément, mais
seulement par le tout de leurs visées intentionnelles complémentaires ;
cette chose est le pur langage (W.Benjamain, 1923/1971). Certes, mais cette approche vestige
d’avant la tour de Babel, sert et discrédite à la fois la réflexion sur la
traduction.
Si traduire est
d’atteindre ce non dit – le non manifesté en surface – dont les mots (sens et
signe) ne sont que le voile apparent destiné à la consommation
/communication ; la différence des langues est l’objet même de la
traduction. Cruel dilemme que celui de la traduction qui tend à unir les
langues dans un point supérieur (donc à affirmer que leur différence n’est
qu’apparence) et ne tire sa raison d’être et sa légitimité que de cette
différence même. En réalité la traduction a
finalement pour but d’exprimer le rapport le plus intime entre les langues. Il
est impossible qu’elle puisse révéler ce rapport caché, lui même, qu’elle
puisse le restituer ; mais elle peut le représenter en l’actualisant dans
son germe ou dans son intensité. (…) L’actualisation intensive, c’est à dire,
anticipatrice, annonciatrice. Mais le rapport auquel nous pensons, ce rapport
très intime entre les langues est celui d’une convergence originelle. Ici
trois concepts sont avancés et demandent quelques éclaircissements : visée intentionnelle, pur langage et convergence originale.
Pour la visée
intentionnelle, distinguant la traduction de l’œuvre de la création littéraire,
Benjamin montre que la visée
intentionnelle de (la traduction) ne concerne jamais la langue comme telle,
dans sa totalité, mais seulement de façon immédiate, certaines corrélations de
teneurs linguistiques. Ce sont ces corrélations linguistiques, qui ne sont
en réalité que la manifestation de corrélations pures entre deux langues, que
la traduction doit saisir par le moyen de l’actualisation, et que la réflexion
théorique sur la traduction doit prendre en compte même si leur mouvance est
plus que vérifiée.
Par ailleurs, la
traduction n’a pour autre objet que de chercher et de parvenir à saisir le pur langage, lequel caché, fragmenté,
non-dit même des mots. Cette sorte de pudeur du mot qui ne se met jamais au
devant de la scène, qui ne s’exhibe jamais, laissant le signe la représenter,
prendre corps pour elle et pourquoi pas induire en erreur. Ce pur langage qui
ne se laisse pas enfermer dans l’ossature du mot et parfois même par le sens
commun que le mot porte en lui, Cette
ultime essence qui est là, le pur langage même, dans les langues, n’est que
liée à du langagier et à ses variations dans les œuvres, elle porte le poids
d’un sens étranger. La détacher de ce sens, du symbolisant, faire le symbolisé
même, retrouver le pur langage structuré dans le mouvement langagier, tel est
le violent et unique pouvoir de la traduction (Benjamin).
Pour la convergence originale,
elle se manifeste dans le travail même du traducteur qui rachète dans sa propre langue ce pur langage exilé dans la langue
étrangère. En faveur du pur langage,
il fait sauter les cadres vermoulus de sa propre langue.
Création littéraire,
lecture et traduction sont une et même chose, c’est-à-dire une actualisation.
En réalité une double actualisation du sens originel sous une nouvelle forme ou
une forme avec un nouveau sens. Un nouveau contenu. Traduire Au-dessous du
Volcan (M. Lowry, 1948) par Sous
le Volcan (1987), c’est redonner
à un contenu une nouvelle opérationnalité
voire une nouvelle actualité, ne serait-ce qu’en actualisant le titre,
est-ce à dire que l’œuvre l’a été ?
M. Blanchot écrivait, à juste titre, qu’il faut tenter de saisir dans l’œuvre littéraire le lieu où le langage
est encore en relation sans pouvoir, langage du rapport nu, étranger à toute
maîtrise et à toute servitude, langage qui parle aussi seulement à qui ne parle
pas pour avoir et pour pouvoir, pour savoir et pour posséder, pour devenir
maître et se maîtriser, c’est à dire à un homme fort peu homme (1959,
pp.48-49). C’est la saisie de ce
langage premier, originel, qui est le but de toute investigation littéraire. Au
même titre que la critique littéraire ou la création littéraire, la traduction
tente de saisir l’originel, le langage annonciateur. Elle tente de saisir le
langage dans sa phase non formelle, où il n’est que pensée suggestive. Et cette
saisie par le traduire s’accomplit en fin de parcours par l’actualisation, par
ce pouvoir qu’elle a de déceler le virtuel et de le concrétiser dans un nouveau
moule langagier.
La traduction par
l’actualisation livre le vrai langage saisi dans un texte écrit dans une autre
langue qui offrira ses règles et ses manières d’être pour accueillir le
message, le discours. Toutefois, la saisie de ce vrai langage, de ce pur
langage, abolit-elle pour autant les différences ?
La traduction n’existe que
par les différences des langues et par les différences des modes de pensée.
Tenter d’unir deux, ou plusieurs modes de pensée tout en révélant leurs
différences, ressemble fort au chemin de croix.
N’arrachez pas au
sol, proie de l’ennemi, une fille qui parle le vrai parler de la Grèce.
Traduire une langue, c’est
livrer son vrai parler à une autre langue. Traduire, c’est à la fois miner la
tour de Babel et l’élever d’un étage. Blanchot, reprenant une idée de W.
Benjamin écrivait que Tout traducteur vit
de la différence des langues, toute traduction est fondée sur cette différence,
tout en poursuivant, apparemment, le dessein pervers de la supprimer (1981,
pp.69-71). Est-ce à dire que tout acte de traduction est entaché de perversité,
si c’est oui, la création, la lecture, et la critique le sont… A quoi donc tout
cela sert-il ? La visée ultime de toute traduction est de démontrer que
nous parlons tous la même langue. La langue essentielle. Benjamin ne disait-il
pas que les langues ont toutes la même réalité, mais elles ne l’expriment pas
sur le même mode ?
Le but avoué ou inavoué de
toute traduction n’implique pas une tentative de faire disparaître les
différences des langues –différences dont la traduction se nourrit et sans
lesquelles elle n’a pas lieu d’être – mais de respecter les différences et les
concordances selon une échelle de valeur basée sur l’éthique littéraire et sur
une éthique du rapport à l’autre, où réciprocité et reconnaissance ne sont plus
entre langues, textes et humains, mais entre « pulsions »
scripturaires, lectorales et traductives.
Si d’un côté nous
poursuivons la saisie de ce langage originel, ce commun, propriété de tous, on
n’abolit pas pour autant la singularité des langues n’est pas pour autant
abolit. En vérité, la traduction n’est
nullement destinée à faire disparaître la différence dont elle est au contraire
le jeu : constamment elle y fait allusion, elle la dissimule, mais parfois
en la révélant et souvent en l’accentuant, elle est la vie même de cette
différence, elle y trouve son devoir auguste, sa fascination aussi, quand elle
en vient à rapprocher orgueilleusement les deux langages par une puissance
d’unification qui lui est propre (M. Blanchot. idem). Le caractère sacral
de la traduction est sa puissance. Car, n’a-t-elle pas pour objectif d’augmenter
les performances des textes, des langues, des littératures ? Et n’a-t-elle
pas pour visée de l’avenir de chaque langue, de chaque texte, de chaque œuvre
littéraire. Une œuvre et une langue ne sont jamais figées et immobiles. Leur
mobilité et leur avenir, c’est ce que la traduction révèle et exploite, car elle est liée à ce devenir, elle le
« traduit » et l’accomplit, elle n’est possible qu’à cause de ce
mouvement et de cette vie dont elle s’empare, parfois pour la délivrer,
purement, parfois pour la captiver péniblement (M. Blanchot, idem).
La traduction poursuit
également le but de combler le supposé vide de la langue d’arrivée par l’apport
de l’original qui met en confrontation la langue de départ et la langue
d’arrivée, mais également deux modes de pensées, deux visions du monde en
réalité.
Cependant, il y a un
danger résultant de la recherche du pur langage à traduire et en même temps du
respect de la différence, c’est celui qui se concrétise par la création d’un
troisième texte qui n’est ni ce qu’est l’original ni ce qu’il était destiné à
être dans la langue d’accueil. On croit
découvrir entre les deux langues une entente si profonde, une harmonie si
fondamentale qu’elle se substitue au sens ou qu’elle réussit à faire du hiatus
qui s’ouvre entre elles l’origine d’un nouveau sens (M. Blanchot. idem).
C’est ce qui s’est produit avec les travaux de Hölderlin qui fut fasciné par la puissance de traduire :
les traductions d’Antigone et d’Oedipe furent presque ses derniers ouvrages au
tournant de la folie, œuvres extrêmement méditées, maîtrisées et volontaires,
conduites avec une fermeté inflexible par le dessein, non pas de transporter le
texte grec en allemand, ni de reconduire la langue allemande aux sources
grecques, mais d’unifier les deux puissances représentant l’une les
vicissitudes de l’occident, l’autre celles de l’orient, en la simplicité d’un
langage total et pur. Le résultat est presque terrible (M. Blanchot. idem).
En effet, et c’est ce que Y.Chevrel disait en d’autres termes « lire, écouter, voir, représenter une œuvre
étrangère, c’est prendre le risque de se confronter à une parole qui ne m’est
pas adressée d’emblée, de devoir envisager de répondre, peut être à des
questions que je ne m’étais pas posées jusqu’alors et qui d’ailleurs ne me
concernaient peut être pas (1989).
Littérature
comparée/comparatisme et traduction.
De quoi s’agit
il ?
Indiscutablement la littérature comparée n’est pas la comparaison (Guyard, 1951), ni
une simple description d’un rapport entre deux ou plusieurs littératures, et si
crise il y a, elle est terminologique, ce qui faisait dire à Luiji Fiscolo
Benedetto que le nom est équivoque et peu heureux, que c’est une
discipline mal nommée. Pour ce
qui est du comparatisme, il est l’étude
de la littérature du point de vue international en se basant sur :
influences, échanges, contact et relations (A.Marino, 1988), cependant, ne faut-il
pas convenir que celui-ci ne peut se limiter à l’étude des littératures
uniquement de ce point de vue, ni à l’étude des faits et des rapports entre ces
derniers.
Le positivisme, qui a fait fortune pendant
longtemps surtout en France, considère la littérature comparée comme une branche de l’histoire littéraire (Etiemble,
1988), avec le primat du fait, son domaine exclusif est l’étude des rapports de faits, grâce aux méthodes
historiques employées. Jean Marie Carré dans sa préface de La Littérature
Comparée de M.F.Guyard définissait ainsi la littérature comparée :
elle est une branche de l’histoire
littéraire : elle est l’étude des relations spirituelles internationales,
des rapports de faits qui ont existé entre des écrivains et des œuvres
appartenant à plusieurs littératures. Elle ne considère pas essentiellement les
œuvres dans leur valeur originelle, mais s’attache surtout aux transformations
que chaque nation, chaque auteur fait subir à ses emprunts.
Cette tendance était déjà critiquée à
l’époque par Marcel Bataillon pour lequel la
comparaison n’est qu’un des moyens de ce que nous appelons, d’un nom qui dit
très mal ce qu’il veut dire, littérature comparée. Souvent je me dis que
littérature générale vaudrait mieux, et puis, je vois aussitôt les
inconvénients qu’il y aurait à adopter un nouveau terme qui ferait penser à des
généralités et non plus à des rapports concrets entre œuvres vivantes (in
Etiemble, 1988). Dans le même sens François Jost avance que la littérature comparée
ne peut se limiter à l’étude des connexions
entre auteurs et aux liaisons directes entre phénomènes littéraires (in
Marino, 1988). Il conviendrait donc,
dans cette perspective, de parler de littérature générale et comparée définie
comme l’étude des coïncidences, des
analogies ; la littérature comparée (au sens étroit du terme) est l’étude
des influences, mais la littérature générale, c’est encore la littérature
comparée (in Etiemble). Elle est,
en outre une perspective d’étude de la
littérature, une façon de procéder, une mise à l’épreuve d’hypothèses, un mode
d’interprétations des textes. Et ne peut être « réductible à la
comparaison littéraire, et encore moins à la pratique de « parallèle »
(…) elle correspond à ce que la langue allemande exprime en appelant la
discipline (Vergleichende Literaturwissenschaft) science comparative de la
littérature. Il s’agit fondamentalement d’une démarche intellectuelle visant à
étudier tout objet dit, ou pouvant être dit, littéraire, en le mettant en
relation avec d’autres éléments constitutifs d’une culture (Y.Chevrel,
1989).
En outre, elle est un art méthodique, par la recherche de lien
d’analogie, de parenté et d’influence, de rapprocher la littérature des autres
domaines de l’expression ou de la connaissance, ou bien les faits et les textes
littéraires entre eux, distants ou non dans le temps ou dans l’espace, pourvu
qu’ils appartiennent à plusieurs langues ou plusieurs cultures, fissent-elles
partie d’une même tradition, afin de mieux les décrire, les comprendre et les
goûter (Pichois, Rousseau, 1967).
Outre Atlantique, le New Criticism ou ce
qu’on appelle l’école américaine de littérature comparée, fait du texte, de l’œuvre littéraire le primat du comparatisme. L’approche littéraire critique et valorisante, laquelle admet, voire
exige, des comparaisons sans rapport historiques, ainsi que des généralisations
et des jugements de valeur (A. Marino, 1988, p.15). R.Wellek, à la tête de cette tendance, fait une distinction
entre l’étude de l’histoire des littératures comparées et l’étude comparée des
littératures. Il ne conçoit pas le
comparatisme sans critique et sans esthétique.
Toutefois, l’acte critique de par sa
démarche représente la synthèse de l’historique –histoire littéraire :
correspondances et rapprochements temporels- ; du théorique –étude des
concepts littéraires tels style, courants… Il est enfin du valorisant, c’est à
dire du jugement critique qui ne peut se faire sans l’histoire littéraire et
sans la théorie littéraire.
Aussi, devrions-nous
nous interroger sur le fait de savoir si la littérature comparée doit être
descriptive ou analytique critique ? L’investigation critique se fixe pour
objet non seulement de relever les invariants des littératures, mais de
s’occuper également du fonctionnement de ceux-ci, chacun dans sa spécificité.
Si elle tend par le moyen de l’esthétique à des généralisations, elle s’occupe
également d’étudier la spécificité de chaque littérature.
La tradition comparatiste anglo-saxonne
accorde à la critique une place importante dans l’approche comparatiste. René
Wellek, aux Etats-Unis, conçoit celui-ci à la lumière des théories de la
critique et de l’esthétique. Pour lui la
critique est incluse dans tous discours sur la littérature (…) la théorie, la
critique et l’histoire littéraire se confondent (in Marino, 1988, p.20).
De l’autre côté, et dans le même sens,
Etiemble, en France, dans Ouverture(s) sur un comparatisme planétaire
parlait d’une littérature comparée qui, pour
avoir un objet digne d’elle et des méthodes appropriées, associerait la méthode
historique et l’esprit critique, les recherches d’archives et les explications
de textes, la prudence du sociologue et l’audace du théoricien de l’esthétique (Etiemble,
1988, p.117), ajoutant, dans le même
sens que R.Wellek, la littérature
comparée se condamne à ne jamais devenir soi-même si les études historiques,
que l’école française et l’école soviétique ont raison d’estimer, ne se
proposaient pas pour fin suprême de nous rendre capables de parler enfin des
littératures particulières, voire de littérature générale, d’esthétique et de
rhétorique (Etiemble, 1988, p.112).
Ainsi voit-on paraître en Europe des études
d’esthétique comparée, et on commence à parler de poétique comparée. Etiemble,
sur les traces de Bataillon, assigne à l’approche comparatiste, en parlant de
poétique comparée de nouveaux objectifs : l’étude des formes littéraires
et des genres littéraires. Nous nous acheminons donc vers ce que H.R.Jauss
appelait l’élaboration d’une
poétique, d’une rhétorique et d’une esthétique comparée (Jauss, 1981). Il s’agit donc d’élaborer une esthétique des genres (…) que ces genres, ces civilisations aient ou
non des rapports de fait (Etiemble, année, p.).
Le problème d’une théorie comparative n’est
pas résolu pour autant, car, pour ce faire, le comparatisme doit intégrer la
théorie de la littérature en général. Du point de vue des objectifs, ceux de la
littérature comparée et ceux de l’étude théorique de la littérature sont les
mêmes.
Avant d’aller plus loin et de voir la place
de la traduction dans la littérature comparée de manière générale, et quel
profit la théorie de la traduction peut tirer des recherches comparatistes,
tâchons d’éclairer certains concepts utilisés en littérature comparée et dont
l’application dans la réflexion sur la traduction peut se révéler d’un grand
intérêt.
Nous n’avons pas la prétention ici de
redéfinir ni de faire un panorama de la terminologie de la littérature
comparée. Nous sommes comme beaucoup dans l’attente de la publication du
vocabulaire technique de cette discipline sur lequel beaucoup de chercheurs
travaillent actuellement. Nous reprenons ici les définitions, rencontrées au
cours de notre recherche, des notions d’écart, cohésion et coïncidence d’une
part et d’invariant et comparaison d’autre part
La notion d’écart résulte d’une prise de conscience de la différence entre le langage de
tous les jours et le langage littéraire (P. Brunel et…). Cette notion est
souvent rattachée implicitement ou explicitement à la notion de norme. L’écart
et la norme déterminent la valeur du mot par rapport à son emploi, et par
conséquence dans un contexte donné.
La notion de cohésion, à l’élaboration de
laquelle le cercle de Prague et le New criticisme ont contribué par des voies
relativement analogues considère la
littérature comme une structure de signes. La théorie de la littérature est liée
en effet à la sémiotique littéraire (P. Brunel, idem). Le texte est
considéré comme une unité cohérente dont les composantes participent, à la
construction du sens, à des degrés différents.
Le concept de coïncidence selon P. Van
Tieghem est une méthode qui rapproche
intimement les idées, sentiments, tendances, les œuvres et les formes d’art
analogues à travers les frontières nationales ou linguistiques (P. Brunel,
ibidem).
Le procédé de la
comparaison n’est pas spécifique aux études littéraires et n’est certainement
pas né avec la littérature comparée, c’est un vieux procédé employé dans
presque toutes les sciences, vu l’aspect pratique de son emploi,
méthodologiquement parlant.
Nous distinguons donc deux choses, la
comparaison comme procédé d’investigation employé dans n’importe quelle
discipline, et la comparaison comparatiste. C’est cette deuxième conception qui nous intéresse ici,
car notre démarche concernant la traduction ne veut pas reposer sur une simple
comparaison des traductions d’un même texte, elle se veut également comparaison
comparatiste dans un domaine primordial de l’activité littéraire. Cette
distinction faite, regardons maintenant en quoi consiste la comparaison comparatiste à la lumière de
la traduction, acte et réflexion.
La
démarche comparatiste et l’acte traductionnel sont les mêmes, car tous deux partent de l’hypothèse qu’un œuvre
n’est pas à considérer uniquement comme un absolu, mais aussi dans ses
différentes concrétisations et ses mises en relation possibles (…) Ils
supposent également que la rencontre
de deux cultures permet de mettre en évidence certains éléments qui
n’apparaîtraient peut être pas si l’étude était conduite à l’intérieur d’une
seule culture (Y. Chevrel, 1989, p.190).
Par
ailleurs, la rencontre de deux cultures par l’intermédiaire de la traduction
est une affaire de dosage, qu’il s’agisse
de mots, de figures de style, de fragments ou de textes et de genre entier,
toujours les traductions portent les marques du système intermédiaire :
elles réalisent un dosage entre les schémas autochtones et les schémas
étranges. Les principes du dosage –la sélection des textes et la méthode de
traduction– mettent à nu le caractère clos ou fermé de la littérature
réceptive, sa tolérance devant les systèmes de valeur qui font irruption (Lambert,
1989, p.157).
Il y a là
dévoilement mutuel qu’autorise comparaison de traductions dont l’approche n’est
pas uniquement binaire, mais peut être ternaire et plus, impliquant un constant
va et vient entre l’original et les traductions, les traductions entre elles, et
chaque traduction avec l’original révélant le résiduel constant qui soutend
toute pulsion qu’elle soit créative, lectorale ou traductive.
Telle est la thèse que nous défendons, et
nous pensons que les recherches en traduction comparée doivent s’inscrire dans
celles de la littérature comparée et du comparatisme; si tel n’est pas
actuellement le cas de manière décisive, nous avons au moins la consolation de
voir depuis quelques années la place de plus en plus importante que les manuels
de littérature comparée consacrent la réflexion sur la traduction. Et s’il y a
eu un retard, c’est comme le dit Lambert parce qu’une des raisons majeures pour lesquelles les comparatistes ont
longtemps abandonné l’étude des traductions au linguistes et aux traducteurs,
c’est incontestablement leur crainte vis à vis des théories comme telles,
surtout des théories non littéraires (idem, p.157).
Pour terminer sur ce point, nous pensons que
l’étude des traductions, c’est à dire l’étude de leur place, leur fonction et
des transformations qu’elles entraînent dans les cultures – de départ et
d’accueil – doit faire partie des études comparatistes car l’étude comparée des
traductions demeure l’étude de la création, de la réception et du fait littéraire
en général.
Traduction et théorie de l’invariant
Le comparatisme
n’est donc pas uniquement cette recherche constante de l’invariant, il est
également la recherche systématique et simultanée du variant. Il en est de même
pour la traduction qui ne doit pas se contenter de mettre au premier plan
l’invariant entre deux cultures. Le variant et le particulier de chaque culture
-d’arrivée et de départ– doit aussi être mis en évidence pour produire
l’équilibre et l’harmonie nécessaire à l’opérationnalité d’un texte traduit.
Il est incontestable
que la traduction vise la saisie du pur langage, et au-delà, l’expression
commune à toutes les littératures à travers les genres et les formes, en tenant
compte de leurs particularités contextuelles et leurs spécificités créatives.
Signalons cependant et de prime abord que
la théorie de l’invariant –qui ne se contente pas uniquement de repérer
quelques constantes comme la manifestation du romantisme ou du baroque dans
certaines littératures, et de déterminer les coïncidences entre la tragédie
grecque et le théâtre de l’ancienne Egypte entre autre -n’est véritablement
opérationnelle dans les études comparatives, qu’accompagnée de son corollaire,
le concept des écarts différentiels. Pour
ce qui est des invariants ou aspects universels, Etiemble y voit, les
avantages suivants : permettre de
parvenir à une définition moins vague et, qui sait, tout à fait précise des
principaux genres littéraires ; et de distinguer dans chaque genre, ce qui est l’essentiel du point de vue de
la « littéralité » et les traits adventices, qui dépendent des
circonstances historiques, politiques... montrant, surtout que malgré les
différences dues à l’histoire, à la
structure des langues, au dogmatisme religieux, certaines constantes existent,
par quoi l’homme existe, oui l’homme, sous la diversité souvent stupéfiante des
hommes, enfin, à partir des
invariants, non pas certes d’eux seuls, et en cessant de privilégier (…) les
seuls rapports binaires (…) les comparatistes et généralistes pourront
ébaucher, à partir des rhétoriques, des stylistiques, des métriques les plus
diverses, une théorie enfin plausible de la littérature (Etiemble,1978).
Le point de départ qui permet la saisie de
l’invariant est cette impression de « déjà lu » qui s’impose à
nous ; par ailleurs, c’est la prise de consciences qu’il y a des
similitudes, des parallèles, des analogies, des caractères communs entre deux
ou plusieurs textes. Autrement dit, l’invariant serait un élément universel de la littérature et de la pensée littéraire,
comme un caractère, un élément ou un trait commun du discours littéraire ou de
la pensée littéraire (A. Marino, 1988).
L’invariant, dans une perspective de
littérature générale et comparée, apparaît comme l’élément essentiel pour définir et illustrer le permanent,
l’essentiel, et partant, l’universel de la littérature, c’est l’élément clé du comparatisme théorique
qui typologiquement se présente ainsi :
Il y a les
invariants structuraux :
a)
de l’œuvre littéraire (individuelle)
b)
de la littérature (universelle)
Il y a les
invariants relationnels :
a)
Contacts entre les œuvres (individuelles)
b)
Contacts entre les littératures (nationales)
(A. Marino, 1988,
p.118).
La recherche de l’invariant dans une œuvre
littéraire peut fonctionner selon un schéma très précis qui va du particulier
au général. Ainsi il faut déterminer :
1) l’invariant dans
une seule œuvre.
2) Dans un seul
mouvement dans lequel s’inscrit l’œuvre.
3) Dans plusieurs
mouvements exprimés dans des genres différents au sein d’une même littérature
nationale.
4) Dans plusieurs
mouvements appartenant à plusieurs littératures nationales.
5) Dans tous les
mouvements appartenant à toutes les littératures nationales d’une même période.
6) Dans tous les
phénomènes appartenant à une littérature ou à toutes les littératures (A.
Marino, p.123).
L’invariant est donc perçu comme moyen
généralisateur, qui permet d’édifier des points entre les littératures dans une
visée universalisante de la littérature, dans une visée de la littérature tout
simplement. Cependant, si l’on considère à l’aide de l’invariant que la
littérature est un ensemble de constantes et de coïncidences entre littératures,
ne serait pas littéraire ce qui ne rentre pas dans cet univers du commun, du
général.
Ici nous nous trouvons confrontés à
l’éternel problème qui est de savoir si la littérature, à travers ses diverses
expressions formelles, est universelle, commune à tous et si les différences ne
sont pas langagières, ou bien si la littérature est l’ensemble des
individualités exprimées, c’est à dire l’ensemble des différences.
Doit-on, dans le but d’une théorie générale
de la littérature, considérer celle-ci comme universelle et amoindrir les
différentes expressions de cette même littérature dans chaque
civilisation ? Cruel dilemme.
Par ailleurs, ne conviendrait-il pas de
parler de littérature(s) comparée(s)
lorsqu’on compare des œuvres littéraires de langues et civilisations
différentes et de dire « littérature comparée » lorsqu’on travaille
dans les perspectives de poétique générale, d’esthétique générale ou de
rhétorique générale ? Ce n’est là qu’une interrogation…
L’invariant ne serait-il qu’un
« alibi théorique » masquant le réel problème théorique de la
littérature comparée ? Problème inhérent aux buts et à la démarche même de
cette discipline. Car, si l’existence de la littérature générale et comparée
n’est contestée par personne, celle-ci ne peut exister qu’en faisant de
l’invariant et du variant, du
concordant et du discordant, du commun et de l’individuel, ses deux piliers
essentiels. Qu’il faille chercher l’invariant, personne ne le conteste, mais en
quoi servirait-il seul une théorie générale de la littérature s’il n’est pas
simultanément et systématiquement associé au variant et vice versa ? Sans
ces deux éléments, il ne peut y avoir de comparaison comparatiste ni
d’universalité de la littérature.
Pour notre part, nous pensons quant à nous
que l’universalité tire sa légitimité des particularismes et des différences,
associés au communautaires et au constant dans toutes et au moins dans un grand
nombre de littératures. Si littérature comparée il y a, elle ne peut se faire
sans l’historiographie et sans la critique littéraire. L’attention à l’unique et l’attention
au commun font la littérature.
A. Marino reconnaît que l’invariant est
structurellement à la fois permanent et transitoire. Mais pourquoi l’invariant
aurait-il ce double privilège d’être à la fois durable et fugace ? Il ne
peut être que permanent puisqu’il est par essence, si nous comprenons bien la
thèse de Marino, constant et de commun. Par ailleurs, et si nous comprenons
bien Marino, l’invariant contiendrait en lui le variant, ce qui serait un tour
de force assez spectaculaire. L’invariant reste le permanent, le commun, et en
face de lui il y a le variant, le particulier, l’individuel, cette charge qui
fait que l’œuvre pensée est avant tout unique et individuelle et ce n’est
qu’après qu’elle devient commune et universelle, à condition qu’elle recèle ce
commun originel à tous, car autrement elle ne serait pas digne que l’on s’y
attarde, et de fait qu’on la traduise.
L’œuvre littéraire est à considérer de deux
façons, originale, individuelle, unique et non répétable ; ou la reproduction
d’un commun qu’elle confirme et qu’elle construit en y contribuant, elle le
répète.
Toute œuvre littéraire est à la fois du
commun et de l’individuel, elle est à la fois l’expression d’un individu, d’une
langue, d’une culture et de toute une civilisation. Mais elle n’est pas
uniquement cela, elle est également la reproduction d’un déjà dit, d’un déjà lu
autrement, ailleurs, et peut être dans une autre langue. La finalité
fondamentale de l’invariant, comme le dit Marino, est d’instituer un ordre de recherche qui, sans nier la réalité essentielle
des éléments variables, ne s’intéresse, méthodologiquement parlant qu’aux
identités et similarités, qu’aux éléments communs de l’œuvre (A. Marino,
p.99).
Dans ce sens, l’invariant est un alibi
méthodologique, car prioritaire, il n’analyse qu’un aspect du problème. On peut
nous dire que l’étude des variants et
des particularismes dans une littérature relève du travail de chercheurs en des
domaines précis sur des littératures nationales. Certes, mais nous maintenons
notre position qui consiste à dire que la littérature comparée est l’étude des variants
et des invariants entre deux, trois, ou plusieurs littératures, car le but de
cette démarche est de saisir la littérature dans sa totalité à travers les dits
et les non dits dans leurs expressions spécifiques et leurs convergences.
Il est donc nécessaire de trouver un
équilibre théorique et méthodologique pour parvenir à appréhender l’œuvre
littéraire dans sa totalité et être réceptif à tout ce qu’elle peut nous dire,
attentif à tout ce qu’elle a à nous révéler. Car, quand bien même serions-nous
parvenus à une poétique, une esthétique et même une rhétorique générale,
universelle, et quand bien même aurions-nous établi une théorie de la
littérature, celle-ci serait incomplète si, au cours des investigations, nous
avons mis de côté un des éléments importants de la littérature. Alors pourquoi
ne pas mener de front les deux concepts et les exploiter systématiquement et
simultanément dans l’approche de toute œuvre artistique ou, du moins,
littéraire pour commencer.
Critique de traductions ou traducritique.
Un certain nombre de disciplines, et en
premier lieu la linguistique, ont tenté de faire de la traduction un champ
d’expérimentation des diverses théories ou branches en mal de reconnaissance au
point où certains linguistes estiment que la réflexion sur la traduction relève
de la linguistique en général. L’opération
traduisante fut ainsi analysée par des concepts linguistiques. D’autres,
comme la philosophie ou les études littéraires, destinaient la traduction à la
fonction d’auxiliaire, à laquelle on fait appel soit pour la louer, soit pour
la rendre responsable des erreurs d’interprétation d’œuvres philosophiques et
littéraires entre autres.
Notre conviction est que la traduction et la
réflexion traductive a une à part dans le vaste champ de l’activité littéraire.
Nous pourrions même avancer qu’elle est la seule capable de nous apporter, une
fois délimitée et théorisée – même s’il convient plutôt de parler de
méthodologie – des solutions à nos hésitations, nos contradictions et nos
querelles de chapelles dans les recherches en sciences humaines.
Etiemble affirmait à propos de l’importance
de la traduction dans les études comparatistes : qu’au lieu d’égarer nos étudiants dans les études pseudo-sociologiques
telles que le mirage russe dans la littérature américaine (…), on les orientât
vers l’étude comparative des traductions. Soit que l’on étudie les diverses
traductions anglaises d’un même poème de Saint-John Perse, ou françaises d’un
même poème de Toth Arpad, ou de Vorosmartv ; soit que l’on examine les
traductions d’un même poème en trois, quatre, dix langues de phonétique et de
structures différentes, on fera œuvre enfin de littérature véritablement
comparée (Etiemble, 1988).
Il avance également,
et nous en convenons avec lui, que l’étude
comparée des traductions nous permet d’aller fort avant dans l’analyse de l’art
du poète, d’isoler, dans chaque poème, ce qui participe à la prose et les dons
ou les conquêtes de la poésie, de préciser quelles parts de cette poésie sont
transmissibles, quelles perdues dans telle langue, sauvées dans telle autre (idem).
Dans
le rapport comparatisme/traduction, nous pourrions dire, sans offenser personne
ni nous attirer les blâmes de quiconque, que le premier comparatiste ne remonte
pas au XIXème siècle et encore moins au XVIIIème siècle ; il est, peut
être, ce moine inconnu, qui décida de convertir une langue avant d’essayer de
convertir les gens, en confrontant deux langues, deux systèmes de pensée, et
qui sait deux attitudes face au monde et aux Dieux. C’est lui le premier
comparatiste. N’est-il pas vrai qu’il est le premier comparatiste, ce premier
traducteur…?
On peut nous rétorquer, et à bon droit,
qu’il est difficile de faire entièrement confiance au traducteur, car la
démarche de celui ci n’est jamais sans arrière-pensée. On nous dira de regarder
les traductions de Amérique ou Amerika ou l’Eternel mari, ou
encore celles des œuvres de Shakespeare, Ibn Khaldoun, Hallaj et Omar Khayyâm
qui ont fait l’objet non de traductions mais de retraductions. Plus proche de
nous, les cas des œuvres de Kafka, de Dostoïevski, de M. Lowry ou encore de
Dante nous interrogent sur ce phénomène qu’est la retraduction ; et un
certain nombre de questions vient automatiquement à l’esprit : une
traduction date-t-elle, et faut-il la renouveler tous les vingt ou trente
ans ? Ou notre connaissance des langues d’origine est-elle devenue plus
complète ?
Les modes et les affinités sont pour une
large part dans le phénomène du retraduire, car l’original n’a pas changé (nous
parlons ici d’originaux établis une fois pour toutes, soit par l’auteur
lui-même soit par un travail de reconstitution de l’œuvre nullement
contestable), ce qui est différent, c’est notre réception de l’œuvre. Et
lorsque nous nous trouvons face à deux traductions, à laquelle des deux
pourrions nous faire confiance, ou plutôt lequel des deux traducteurs est digne
de notre confiance ? Là aussi il y a problème. Dans le cas de Kafka, nous
avons d’un coté Vialatte, lui même écrivain et romancier, et de l’autre
B.Lortholary (universitaire et traducteur), ici la posture littéraire du
traducteur est déterminante dans le repérage du ce-à-partir-de quoi il traduit,
également son projet et horizon traductifs.
Dans un premier temps et vu la profusion et
la diversité des idées concernant la théorie de la traduction, considérons
celle-ci comme l’auxiliaire de la littérature comparée. Nous savons très bien
que celle-ci ne peut pas se passer de traductions. Alors faisons en sorte qu’il
y ait un échange de bons procédés, au moins dans un premier temps, entre les
acquis de la littérature comparée et ceux de « l’activité
traductive ». Etiemble déclarait que la littérature générale et comparée
deviendrait inopérante sans le recours aux traductions. Il est vrai qu’il faut
de bons traducteurs comme Paul Deméville, J.P.Diény, Paul Jacob et J.Pimpaneau pour la poésie chinoise ; Efim
Etkind pour la poésie russe, entre
autres (Etiemble, 1988, p.168).
Notre propos se veut à l’intersection de ces
deux disciplines : nous voulons parvenir, ou au moins tenter d’ébaucher
une méthode d’étude comparée des traductions, c’est à dire une démarche qui
mettrait à profit la réflexion théorique sur les problèmes de la traduction et
les acquis d’une discipline telle que la littérature comparée, plus encore, la
littérature générale et comparée.
S’il est, à des degrés différents, aisé de
traduire en maîtrisant deux langues, en connaissant parfaitement l’auteur, son
œuvre et la place du texte à traduire dans la culture et son éventuelle pertinence
une fois traduit, il n’est pas aisé de mener une réflexion objective sur ce
même travail dans une perspective théorisante. Car, il n’est pas sans risque de
tenter une théorisation si l’on ne voit dans les composantes de l’opération traduisante que le sens ou
le style, si l’on ne voit dans l’acte de traduire qu’une prise de position en
faveur de l’un ou l’autre composant d’un texte, voire même donner priorité à
l’auteur de l’original ou au lecteur de la traduction. L’œuvre littéraire n’est
pas uniquement sens et style, elle est cela et autre chose à la fois,
fondamentalement une pulsion, un désir avant tout. Aussi, la traduction doit
saisir ce qui représente l’objet même de la traduction, ce hiatus actif existant entre les langues, entre les civilisations,
entre les climats humains…
La traduction, comme nous l’avons vu
précédemment, est une actualisation au sens strict du terme. Et d’autre part,
la littérature comparée est cette démarche scientifique qui étudie les variants
et les invariants entre deux, trois ou plusieurs textes, représentatifs de
deux, trois ou plusieurs littératures. Elle étudie ce qui fait que toute œuvre
littéraire est à la fois une production unique, non répétable et concret et la
production du commun fragmenté et virtuel qui n’aspire qu’à la concrétisation.
Partant de là, l’étude comparée des traductions, considérant la création
littéraire, la critique littéraire et le factum littéraire de manière générale,
se fonde sur le principe que ni le
commun ni le particulier ne fonctionnent ni n’opèrent séparément, l’absolu
littéraire réside dans leur coexistence, leur complicité et leur connivence, et
c’est cela qu’il faut tenter de saisir dans la démarche traductive, et comment peuvent-ils
fonctionner afin de produire la cohésion
ou la cohérence traductive, et que nous préférons nommer harmonie traductive
qui au-delà de ce que veut dire une traduction nous saisissons ce qu’elle
fait ; une traduction totale et totalisante s’inscrit dans ce qu’elle fait
et pas uniquement dans ce qu’elle dit.
Méthodologiquement,
la comparaison des traductions ou comparative translation ou ce que nous
avons désigné par un néologisme en 1990 par Traducritique,
suppose deux axes :
a) comparaison dans
la même langue d’un texte traduit au moins deux fois soit par deux traducteurs
différents ou par le même traducteur.
b) comparaison de
traductions dans plusieurs langues d’un même texte.
Chacun de ces deux
principes se base sur la démarche suivante :
1)
Déterminer les tendances déformantes, les écarts
ou encore les variants - c’est à dire
ce qui fait que la traduction ne reflète pas entièrement, sinon pas de tout,
l’original – dans le rapport traduction x / traduction y, par rapport à
l’original.
2)
Déterminer les tendances concordantes, les coïncidences ou encore les invariants - c’est à dire ce qui fait
que la traduction coïncide de très près avec l’original – entre traduction x /
traduction y, par rapport à l’original.
Au sein de chacune des deux opérations, nous
serons renseignés sur les trois textes en même temps, l’original par rapport
aux deux traductions, et chaque traduction dans sa relation avec/à l’autre.
Par ailleurs, une fois les deux tendances
déterminées dans les deux traductions entre elles et par rapport à l’original,
la comparaison sera faite entre les déformations et les concordances des
traductions par rapport à l’original. L’intérêt de cette démarche est qu’au
moment où nous faisons la comparaison des traductions, l’original ne soit
jamais absent. A travers les tendances déformantes ou/et concordantes, nous
relevons ce qui a été retenu et ce qui été abandonné par les traducteurs dans
l’une ou/et l’autre traduction toujours par rapport à l’original qui à aucun
moment ne quitte le champ de l’investigation.
Cette démarche ne se limite pas uniquement à
la comparaison des traductions, elle tente systématiquement et simultanément
d’associer l’original dans l’investigation. Pourquoi ? Nous pensons que,
pendant qu’elle nous renseigne sur les traductions (leur fonctionnement), elle
nous informe également sur l’original et sur le fait que celui-ci existe et les
traductions aussi. Cette approche associe l’explication du texte, l’analyse
formelle du genre et la critique littéraire en plus de la comparaison et donc
de l’explication du pourquoi de tel choix et non de tel autre.
En outre, l’analyse comparée de traductions,
pour acquérir un statut autonome, ne se contente pas de comparer deux
traductions d’une même époque ou d’époques différentes d’une œuvre dans la même
langue, mais également comparer deux traductions d’époques différentes ou de la
même époque dans plusieurs langues. Ce n’est là cependant qu’une facette des
diverses possibilités qu’offre l’approche traducritique qui associe entre
autres l’histoire de la traduction, la critique littéraire et l’esthétique
littéraire.
Pratiquement, et dans un souci de clarté,
l’analyse est basée dans un premier temps, sur le repérage des tendances
déformantes dans les deux traductions chacune séparément par rapport à
l’original et ensuite l’étude du pourquoi et du comment de leur existence et
incidence au niveau des deux traductions. La même opération pour ce qui est des
tendances concordantes. Ceci nous amènera à évaluer la pertinence des choix des
traducteurs, et surtout les conséquences d’interprétation de leurs traductions.
Concernant les tendances déformantes, nous
nous basons essentiellement sur l’excellent travail d’A.Berman, dans lequel il
définit treize tendances déformantes en traduction. Il s’agit de : la
rationalisation, l’allongement, l’ennoblissement, la vulgarisation, la
clarification, l’appauvrissement qualitatif et quantitatif, l’homogénéisation,
la destruction des rythmes, la destruction des réseaux signifiants sous
jacents, la destruction des systématiques textuels, la destruction (ou
l’exotisation) des réseaux et idiotismes, l’effacement des superpositions de
langues, pour lui, il considère ces éléments comme un tout systématique dont la fin est la destruction, non moins
systématique, de la lettre des originaux, au seul profit du « sens »
et de la « belle forme » (A.Berman)
Ainsi les tendances déformantes font de la
traduction dans le texte d’arrivée la priorité de l’opération
traduisante. Les diverses expressions de l’original se soumettent aux
exigences de la langue d’accueil. Face à ces tendances déformantes de
l’original, il y a les tendances concordantes avec l’original, mais elles aussi
déformantes, cette fois non de l’original mais de la langue d’arrivée, c’est à
dire qui font des éléments de l’original les priorités à faire passer au prix
de l’éclatement des repères de fonctionnement de la langue d’arrivée. Cette
deuxième démarche crée ce que nous appelons la traduction cartepostalisante.
Nous prenons le discours de l’original et nous le reproduisons tel quel dans la
langue d’arrivée. Le lecteur de la traduction ne se reconnaît plus dans sa
propre langue.
Aussi et étant que l’analyse comparée de
traductions implique des investigations dans l’original, la traduction A, la
traduction B, et l’étude de leur interaction les unes avec les autres, nous
avons appelé cette démarche « traductrice/traductive ».
En résumé elle se rapproche de la critique
littéraire qui, elle s’occupe des procédés de création littéraire. Dans ce
sens, la traduction comparée serait une nouvelle forme de critique littéraire,
il est vrai, qui ne s’occuperait que des textes étrangers traduits au moins
deux fois dans la même langue par deux traducteurs différents dans un premier
temps. Le terrain d’investigation de ce que appelons traducritique est certes restreint et limité. Cependant l’intérêt
de cette nouvelle démarche n’est pas dans le nombre d’œuvres étudiées, mais il
est dans le nouvel apport pour l’étude des œuvres littéraires, car elle sera la
seule démarche qui saura nous renseigner de manière complète sur une œuvre
littéraire, elle nous éclairera avant tout sur l’original, sur les deux, ou
plusieurs, traductions, et nous éclairera enfin sur un point essentiel, celui
de la convergence des création, réception et interprétation.
Seule l’étude comparée des traductions peut
nous révéler les rapports souvent obscurs qui font de la création une réception
interprétative, de la réception une interprétation créative.
A la lumière de ces postulats, la traducritique, tout en étant non
encore complétement établie théoriquement et méthodologiquement de manière
définitive, loin s’en faut, elle demande à être complétée par des analyses
textuels des traductions ou du moins dans un premier temps par l’étude des
discours paratraductifs afin de mettre en évidence les stratégies traductives
et les choix traduisants ; elle ouvre néanmoins, en l’état actuel des
recherches, un nouveau concept traductif, celui que nous nous sommes aventuré à
dénommer Trastraduction ou traduction synthétique ou encore traduction
synthèse.
Scientifiquement,
si la critique de traductions existe, elle est opérationnelle pour mettre en
évidence les stratégies traductionnelles et révèle les zones de défectivité des
traductions et surtout le rapport qu’entretiennent les traductions entre elles
dans un premier temps, et les relations qu’elles entretiennent avec l’original,
de l’autre côté.
Pour une transtraduction
(Texte coranique, sourate XVII en
traductions françaises).
La
traducritique comme nous la concevons n’est pas une simple description du
lisible ou de l’illisible de plusieurs traductions, elle opère également sur le
prolongement de l’œuvre en proposant ce que nous appelons transtraduction à
défaut d’un autre terme pour le moment, autrement dit traduction synthétique ou
traduction synthèse…
De quoi
s’agit-il ?
Brièvement,
il s’agit d’opérer un choix pertinents de fragments de traductions de manière à
proposer une synthèse d’au moins deux ou trois traductions par leur
déconstruction afin de construire une traduction composée d’éléments pris aux
autres soit de manière ordonnée ou de manière à construire une harmonie
textuelle propre à la nouvelle traduction. Ce travail peut être appelé
traduction à quatre, six ou huit mains, dont le but ultime recherché est de
proposer une traduction achevée après laquelle aucune autre n’est possible.
Pour
illustrer cette démarche, expérimentale en l’état actuel de nos recherches,
nous proposons le résultat de notre travail appliqué aux traductions françaises
du texte coranique à travers la sourate XVII (Le voyage Nocturne).
Les raisons d’une
transtraduction
Si tous
les traducteurs ou les exégèses musulmans appellent de leurs vœux à la
constitution de groupes où historiens, anthropologues, religieux, linguistes,
exégèses, spécialistes des sciences des religions et traducteurs
travailleraient ensemble en vue d’une meilleure saisie du texte coranique dans
toutes ses configurations pour pouvoir proposer une traduction satisfaisante, paraît un vœux louable, voire nécessaire ; il est à
notre avis d’une difficulté pratique à mettre en place, et si tant est qu’il existe
et qu’il puisse offrir la traduction souhaitée, celle-ci serait immanquablement
taxée d’un quelconque défaut. Alors que faire ?
Nous
prenons ici le risque, avec notre transtraduction, de nous attirer les
critiques tant sur le plan scientifique que méthodologique, voire théologique.
Mais, nous le prenons, et supposons qu’une hypothèse comme celle de la notre,
si elle ne propose pas de solution à une meilleure traduction du texte
coranique, elle a le mérite d’exister et de soulever des questions, voire engager
un véritable débat sur la traduction du Coran.
Nos
raisons sont les suivantes :
Scientifiquement,
si la critique de traductions existe, elle est opérationnelle pour mettre en
évidence les stratégies traductibles de manière générale, et plus particulièrement,
révèle les zones de défectivité des traductions et surtout le rapport
qu’entretiennent les traductions entre elles dans un premier temps, et les
relations qu’elles entretiennent avec l’original, de l’autre côté. La
traducritique existe donc.
Mais que
propose-t-elle ? si elle doit se contenter de l’analyse dans toute sa
froideur, elle ne fait que reformuler les reproches ou les louages à l’égard de
telle ou telle traduction ; ce n’est guère suffisant à notre avis.
La
traducritique comme nous la concevons n’est pas une simple description du
lisible ou de l’illisible de plusieurs traduction, elle opère également sur le
prolongement de l’œuvre en proposant ce que nous appelons transtraduction à
défaut d’un autre terme.
Comment
avons-nous procédé ?
Avouons-le,
c’est l’arbitraire qui a guidé notre choix de tel ou tel verset chez tel ou tel
traducteur et non pas chez un autre, mais l’arbitraire n’est pas forcément
négatif, il fût une première étape pour rendre visible la transtraduction, et
c’est après que nous avons selon des critères précis élaboré la cohérence des
choix ; certes nous avons fait dialoguer des traducteurs qui peut être
autrement ne seraient jamais rentré en dialogue traductif ; nous avons nié
à chaque traducteur sa spécificité en le fondant dans le propos d’un
autre ; est-ce le prix à payer, oui, c’est un risque que nous avons
pris ; n’en déplaise aux puristes, notre proposition s’inscrit dans une
continuité qui est l’équation suivante : Original…traduction…traducritique…transtraduction…
La boucle
est bouclée…
Les
traductions françaises qui ont inspirées la présente transtraduction sont
celles de :
Denise
Masson (1967)
Hamza
Boubakeur (1972)
Jacques
Berque (1990)
André
Chouraqui (1990)
Youssef
Seddik (2002)
Malek
Chabel (2009)
Gloire à celui qui
fait voyager Son serviteur, pendant la nuit, de la mosquée Sainte[9]
à la Mosquée éloignée[10],
dont Nous avons béni l’enceinte, pour lui montrer Nos signes ! En vérité,
Lui est l’Entendeur et le Voyant. Nous
avons apporté l’Ecriture à Moïse et en avons fait une Direction pour les Fils
d’Israël. « Ne prenez point de protecteur (wakîl) en dehors de Moi ! Ô vous les descendants de ceux
que nous avons portés avec Noé ! -il fut un serviteur reconnaissant- Nous avons annoncé[11]
dans le (même) livre : « Par deux fois, vous commettrez du désordre
sur la terre et afficherez un orgueil excessif. Aussi, quand adviendra la prophétie (attachée à) la première
des deux, Nous déchaînerons sur vous tels de Nos serviteurs à l’assaut furieux.
Jusque dans les maisons ils vous pourchassent…_et voilà promesse accomplie. Ensuite, nous vous avons donné
une revanche contre eux, nous avons multiplié vos biens et vos fils, nous avons
donné des troupes plus nombreuses. Si
vous faites le bien, c’est dans votre propre intérêt. Si vous faites le mal,
c’est que vous agissez contre vous-même. Quand vint l’accomplissement de la
dernière promesse, c’est pour mettre à mal vos visages et pénétrer dans la mosquée (pour la profaner) comme ils
l’avaient fait la première fois, et détruire entièrement tout ce qu’ils auront
dominé. Peut-être votre
Seigneur aura-t-il pitié de vous ? Mais, si vous retournez, Nous
retournerons ! Nous avons fait de l’Enfer une prison pour les
incroyants. Cette Prédication
conduit vers celle qui est (le chemin) très droit ; elle annonce aux
croyants qui accomplissent des œuvres pies la bonne nouvelle qu’ils auront un
grand salaire.
Il annonce également
que nous préparons un châtiment douloureux pour ceux qui ne croient pas à la
vie future. L’homme appelle
(de ses vœux) le mal comme il appelle le bien. En vérité, l’homme est porté à
la précipitation. Du jour et
de la nuit, Nous avons fait deux signes ; Nous effaçâmes le signe de la
nuit et fîmes celui du jour propice à la clairvoyance, pour permettre de quêter
quelque grâce de votre Seigneur, et de connaître le nombre des ans, le
calcul ; et Nous articulons tout distinctement. Nous attachons l’augure de chaque homme sur sa nuque. Au
jour du Relèvement, nous sortirons pour lui l’Ecrit. « Lis ton écrit. Il suffit, pour
toi, en ce jour, d’être ton propre comptable. » Quiconque se fait guider, ne se fait guider que pour
lui-même ; et celui qui erre, erre seulement pour lui-même. Et quiconque
est chargé ne portera pas la charge d’un autre. _Nous n’avons jamais puni (un
peuple) avant de (lui) avoir envoyé un Apôtre. Quand Nous voulons faire périr une cité, Nous ordonnons aux
riches et ils se livrent à leur scélératesse. La parole contre cette cité se
réalise et Nous la détruisons entièrement. Que
de générations avons-nous détruites après Noé ! Ton Seigneur suffit pour
connaître et pour voir parfaitement les péchés de ses serviteurs. A celui qui désir (jouir de la
vie) immédiate, nous nous hâtons d’accorder de ce que nous voulons pour plus
tard nous lui destinons la Géhenne dont il aura à subir l’ardeur, honni et
exclue (de la miséricorde divine). Qui
veut la vie dernière, et soutient vers elle l’allure qu’elle impose, à
condition encore d’être croyant…ceux-là
verront leur allure gratifiée, Nous
les soutenons tous par les dons de on Rabb : ce que Rabb donne n’est pas
inaccessible. Regarde Nous Privilégions
les uns sur les autres. La vie dernière comprend des degrés plus élevés et
certainement plus privilégiés. Ne
mets point avec Allâh d’autre divinité, car tu serais méprisé et délaissé. Ton Seigneur a décrété que vous
n’adoriez que Lui et (marquiez) de la bonté à vos père et mère. Si l’un d’eux
ou tous deux doivent auprès de toi atteindre la vieillesse, ne leur dis pas
« Fi ! » et ne les brusque point, mais dis-leur des paroles
respectueuses ! Incline
vers eux, avec bonté, l’aile de la tendresse et dis : « Mon
Seigneur ! Sois miséricordieux envers eux, comme ils l’ont été envers moi,
lorsqu’il m’ont élevé quand j’étais un enfant ». Votre Seigneur est parfaitement informé de ce qui est en vos
âmes, (Il sait) si vous êtes vertueux. Il est, en vérité, plein de pardon pour
ceux qui reviennent à Lui. Donne
à tes proches leur droit, mais aussi au pauvre, au ils du chemin _Et cela sans
prodigalité prodigue. Les
dilapidateurs[12]
sont les frères des Shaïtâns[13],
et le Shaïtan efface son Rabb. Si
(par nécessité) tu te trouves amené à t’écarter d’eux dans l’espoir d’une
miséricorde divine, tiens-leur au moins un langage de douceur et de bien. N’agis pas de telle sorte que ta
main soit attachée à ton cou, et ne l’ouvre pas (non plus) entièrement.
Autrement tu serait blâmé, ou tu (deviendrais) limité dans tes moyens. Ton Seigneur dispense ou mesure
Son attribution à qui Il veut. Il est très informé et clairvoyant sur Ses
serviteurs. Ne tuez pas vos
enfants par crainte de la pauvreté. Nous leur accorderons leur subsistance avec
la vôtre. Leur meurtre serait une énorme faute. Ne forniquez point ! La fornication est en vérité une
turpitude et un mauvais chemin. Ne
tuez pas la personne : Dieu la
protège par un interdit, sauf si c’était à bon droit. _Quiconque est
injustement tué, Nous conférons un pouvoir à son ayant droit ; que ce
dernier s’abstienne de surenchère sur le meurtre, il n’en sera que mieux
secouru. Ne touchez pas aux
biens de l’orphelin, avant qu’il ne prenne vigueur, sinon pour bien faire.
Respectez le pacte : voici : tout pacte a des sanctions. Donnez pleine mesure lorsque
vous mesurez et pesez n faisant usage d’une balance juste, exacte, droite.
C’est mieux pour vous et les conséquences en seront heureuses. Ne poursuis pas ce dont tu n’as
aucune connaissance. En vérité, l’ouïe, la vue, le cœur, de tout cela il fait
une enquête. Ne marche point
sur la terre avec insolence ! Tu ne saurais déchirer la terre et atteindre
en hauteur les montagnes. Ce
qui est mauvais en tout cela est détestable devant Dieu. Voilà (des prescriptions faisant partie) de la sagesse que
ton Seigneur t’a révélée. Ne mets donc point un autre dieu à côté de Dieu, sans
quoi tu serais jeté dans la géhenne, honni, banni. Dieu vous aurait-Il privilégié par des fils, en se réservant
les anges pour filles ? _Vous proférez là une énormité…
Aussi, nous
confirmons cet Appel, al-Qur’ân, pour
qu’ils se souviennent, mais il ne leur ajoute que panique ! Dis : « Si, comme
ils le prétendent, Dieu (T.H.L.) avait avec Lui d’autres divinités, celles-ci
auraient recherché des voies pour atteindre le Maître du Trône ! Gloire à Lui ! Qu’Il soit
exalté, au-dessus de ce qu’ils disent, à une très grande hauteur ! Les sept cieux l’exaltent ainsi
que la terre et ceux qui s’y trouvent. Il n’est aucune chose qui n’exalte Sa
louange mais (infidèles !), vous ne comprenez pas leur exaltation. Il est
longanime (hakîm) et absoluteur. Quand
tu lis le Coran, nous plaçons un voile épais entre toi et ceux qui ne croient
pas à la vie future. Nous
voilons leurs cœurs pour qu’ils ne comprennent pas et frappons leurs oreilles
de surdité. Quand, dans le Coran, tu évoques ton Seigneur dans son unicité, ils
(te) tournent le dos par répulsion. Nous
savons parfaitement dans quelle disposition ils écoutent quand ils t’écoutent
ou quand ils se parlent en confidence : ils assurent alors, ces
iniques : « Autant, pour nous, suivre un homme
ensorcelé ! » Contemple
comme ils fabulent sur toi : ils se fourvoient sans trouver de sentier. Ils
disent : « Quand nous serons réduits à n’être qu’ossements et
poussière, pourrions-nous être ressuscités par suite d’une nouvelle
création ? » Dis
(leur) : « Quand vous seriez des pierres, ou du fer, Ou out objet qui s’impose à
votre esprit, (vous serez ranimés !). Ils diront : « Qui nous
fera revenir ? » Réponds : « Celui qui vous créa une
première fois. » Ils secoueront (alors) la tête vers toi en disant :
« Quand cela ? » Réponds : « Peut-être est-ce proche. Le jour où Dieu vous appellera, vous lui répondrez en le
louant et vous penserez n’être restés que peu de temps dans vos tombes ». Dis à mes serviteurs d’exprimer
les paroles les plus affables, car Satan se glisse entre eux ; or, Satan
est pour l’homme un ennemi déclaré. Votre
Seigneur sait parfaitement ce qu’il en est de vous. S’il veut, Il vous tien en
Sa miséricorde ; s’il veut, Il vous tourmente. Nous ne t’avons pas envoyé
à eux comme répondant… Votre
Rabb sait qui est aux ciels et sur la terre : nous avons fait surabonder
certains inspirés plus que d'autres, nous avons donné les Volumes à Dâwûd. Dis : “Invoquez ceux que vous
prenez pour des divinités en dehors de lui : ils ne peuvent ni écarter le mal
de vous, ni le modifier“. Ceux
qu’il invoquent recherchent (eux-mêmes) le moyen qui les rapproche le plus de
leur Seigneur, espèrent en sa miséricorde et redoutent son châtiment. En
vérité, le châtiment de ton Seigneur est effrayant. -Il n’est pas de cité que Nous n’abolissions avant le Jour de
la résurrection, ou à laquelle Nous n’infligions un dur châtiment -Cela figure textuellement dans l’Ecriture...La dénégation des premiers nous
a seule empêché d'envoyez d'autres Signes contre eux. Nous avons donné la
chamelle aux Thamûd pour les éclairer, mais ils l'ont tuée. Nous n'envoyons de Signes qu'en
avertissement. Même
quand Nous t’avons dit que ton Maître assiège les hommes…Et la vision que Nous
t’avons manifestée : C’était seulement pour les mettre à l’épreuve ;
De même que l’arbre de malédiction dans le Coran. Mais Nous avons beau les effrayer, cela ne fait que renforcer dans leur
terrible impudence…Lorsque
nous avons dit aux Anges : “Prosternez-vous devant Adam”, ils se prosternèrent,
à l’exception d’Iblis. Celui-ci dit : « Me prosternerai- je devant
celui que tu as créé d’argile ? », « Vois-tu, ajouta-t-il, si tu reportais (mon châtiment)
jusqu’au jour de la résurrection, je dominerai assurément toute la descendance
de celui que tu honores, excepté un petit nombre ! Dieu dit : “Va ! Ceux d’entre eux qui te suivront, la
Géhenne les rétribuera d’une large rétribution, Séduis qui tu peux parmi eux par ta voix, lance-leur ta
cavalerie et ton infanterie, associe-toi à eux avec biens et enfants, promets-leur tout : les promesses
du Shaïtân ne sont qu'illusion. “Tu n’as aucun pouvoir sur mes
serviteurs. Ton Seigneur suffit comme protecteur”. Votre seigneur est celui qui fait voguer pour vous le
vaisseau sur la mer, pour que vous recherchiez (les dons) de sa grâce, car il
est tout compatissant envers vous. -Dès
que sur mer vous touche une avarie, ceux que hors Lui vous invoquez s’égarent.
Il ne reste que Lui. Et quand Il vous a ramenés saufs au rivage, vous vous
détournez- L’homme n’est qu’ingratitude Ne
pensez-vous pas que le flanc du terroir s’affaissera sur vous ou qu’Il enverra
une tornade vous dévaster ? Vous ne trouveriez alors aucun défenseur. Etes-vous sûrs qu’Il ne va pas
une seconde fois vous ramener au large Et déchaîner contre vous un ouragan vous
engloutissant dans votre ingratitude, Sans que vous puissiez contre Nous
recours trouver Nous avons
ennobli les fils d’Adam. Nous les avons portés sur la terre ferme et sur la
mer. Nous leur avons accordé d’excellentes nourritures. Nous leur avons donné
la préférence sur beaucoup de ceux que nous avons créés. Le jour où nous appellerons tous les groupements d’hommes
par la voix de leurs chefs ; ceux auxquels leur livre sera donné dans la main
droite liront leur livre ; ils ne seront pas lésés d’un fil. Quiconque aura été aveugle
ici-bas le sera également dans l’au-delà et il sera plus égaré (encore) par
rapport à la bonne route. De
peu s’en est fallu que leur tentation ne te fit lâcher ce que Nous te révélâmes
pour forger contre Nous l’apocryphe, moyennant quoi ils t’auraient adopté
pour leur intime ami Si nous ne t'avions pas
conforté, tu aurais risqué de t'incliner devant eux ! Nous t’aurions alors fait goûter le double de la vie et le
double de la mort. Tu n’aurais pas, ensuite, trouvé de secours contre nous. S’ils avaient pu, ils t’auraient
incité à abandonner ce pays pour t’en bannir, et (s’ils étaient arrivés à leur
fins), ils ne seraient demeurés que peu de temps après toi, selon la tradition de ceux que
nous avions envoyé avant toi : tu ne trouveras pas d'alternative à notre tradition. Acquitte-toi de la prière au
déclin du soleil, jusqu’à l’obscurité de la nuit ; fait aussi une lecture
à l’aube : la lecture de l’aube a des témoins. (Veille)
une partie de la nuit après un bref sommeil pour réciter le Coran, par une
prière surérogatoire, afin que ton Seigneur te ressuscite t’assignant un rang
digne de louange. Dis :
“Seigneur, fais-moi entrer entrée de vérité, sortir sortie de vérité. Munis-moi
de Ta part d’un pouvoir au secours décisif”...Dis : "Venue la vérité, évanouie l'inanité ! Voici,
l'inanité doit s'évanouir." Du
Coran, Nous ne faisons d’en haut révéler Que ce qui apporte à ceux qui ont la
foi, guérison et Maternance. Mais cela même ne fait qu’enfoncer les humains de
la démesure dans leur perdition. Quand
nous comblons l’homme de bienfaits, il se détourne et s’éloigne. Quand le
malheur le touche, il est désespéré. Dis
: “chacun se comporte selon sa nature. (Mais) votre Seigneur connaît bien celui
qui suit la meilleure route.” On t’interroge sur l’Esprit. Dis :”L’Esprit est du ressort de Dieu et il
ne vous a été donné de science qu’une part bien chétive” Si nous le décidions, nous remporterions
ce que nous t'avons révélé :mais tu ne trouverais plus de défenseur, Mais, de par la Maternance de
ton Maître Il n’en fait rien, Immense est la faveur qu’Il t’accorde !Dis :“Si les hommes et les
Djinns s’unissaient pour produire quelque chose de semblable à ce Coran, ils ne
produiraient rien qui lui ressemble, même s’ils s’aidaient mutuellement”. Certes, nous avons donné aux
hommes, dans le Coran, toutes sortes d’exemples, (mais) la plupart d’entre eux
refusent (tout) sauf d’être mécréants, « Nous ne t’en croirions, disent-ils, que si tu faisais
jaillir pour nous du terroir une source puissante ou que tu n’aies un jardin de palmiers et de vignes d’où tu
ferais jaillir des fleuves Ou
que tu fasses sur nous choir le ciel, par pans entier Comme tu nous en a
menacés Ou…Et si tu nous amenais Dieu et, en cohorte, les anges ? Ou que tu ne posséderas pas une
maison pleine d’ornements. Ou que tu ne t’élèveras pas dans le ciel. -Cependant
nous ne croirons pas à ton ascension tant que tu ne feras pas descendre sur
nous un Livre que nous puissions lire »-Dis : « Gloire à mon
Seigneur ! Que suis-je sinon un mortel, un prophète ? » Rien n’empêche les gens de
croire, lorsque la bonne direction leur est indiquée, si ce n’est (le fait) de
dire : “Dieu envoie-t-il un homme comme messager ?” Dis :”S’il y avait sur terre des anges, à y aller et venir
tranquillement, sur eux Nous aurions fait descendre du ciel un envoyé angélique”« Entre vous et moi, que Dieu
suffise comme témoin. Il est Informé, Clairvoyant »…Celui que Dieu dirige est bien dirigé. Tu ne trouveras pas
de maître, en dehors de lui, pour ceux qu’il égare. Le Jour de la Résurrection,
nous les rassemblerons face à face ; aveugles, muets et sourds. Leur asile
sera la Géhenne. Chaque fois que le feu
s’éteindra, nous en ranimerons,
pour eux, la flamme brûlante. Telle
sera leur rétribution pour avoir nié nos signes et avoir dit :”Or çà, quand
nous serons ossements et poussière, serons-nous ressuscités en une création
nouvelle ?” Ne voient-ils
pas que Dieu, Créateur du ciel et de la terre, a le pouvoir de créer leur
réplique ? Il leur a fixé un terme indubitable. Mais les iniques se
refusent, si ce n’est au déni…Dis
:"Si vous possédiez le trésor des grâces de mon Rabb, quand vous l'auriez,
vous auriez peur de le prodiguer. L'humain est avare !"Nous avons donné à Moïse neuf
signes manifestes. -Interroge les fils d’Israël-Lorsqu’il vint à eux et que
Pharaon lui dit : “Ô Moïse ! Je pense que tu es ensorcelé !” (Et Moïse) de rétorquer : “Tu
sais bien que seul le Maître des cieux et de la terre a fait descendre de tels
(signes) comme preuves évidentes. Je crois, Pharaon, que tu es perdu.” L'autre voulait le faire
déguerpir du pays. nous l'avons
englouti, lui et les siens, jusqu'au dernier Nous avons dit ensuite, aux fils d'Isrâ'îl :"Habitez
cette terre ! Quand l'Autre promesse se réalisera, nous vous ferons revenir en
foule." Cela Nous
l’avons d’en haut révélé avec le Vrai. D’en haut révélée avec la vérité Pour annoncer la
bonne nouvelle et avertir les humains, Nous t’avons envoyé Nous avons fragmenté cette Lecture pour que tu la récites
lentement aux hommes. Nous l’avons réellement fait descendre. Dis-(leur) : “Croyez-y ou n’y
croyez pas ! Ceux qui ont reçu (de Dieu) la science avant (sa révélation)
tombent prosternés, le menton contre terre, lorsqu’elle leur est récitée, Ils disent : "O
transcendance de notre Seigneur ! C'était la promesse de notre Seigneur ; la voilà réalisée" Ils
tombent sur leur face et pleurent, dans leur humilité grandissante. Dis : “Invoquez Dieu, ou bien :
invoquez le Miséricordieux. Quel que soit le nom sous lequel vous l’invoquez, les
plus beaux noms lui appartiennent”. Lorsque tu pries : n’élève pas la voix ; ne
prie pas à voix basse ; cherche un mode intermédiaire, Dis : « Louange à Dieu qui n’a ni enfant, ni
associé dans la royauté, ni protecteur contre l’humiliation ! » Et
magnifie hautement sa grandeur.
Références bibliographiques.
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Les tours de Babel, Mauvezin,
TER, 1985.
[1] Naguib Mahfuz, auteur egyptien, Prix Nobel 1988.
[2] Chrétien de Troyes (1135-1181/1191), connu pour ses romans de
chevalerie.
[3] François Rabelais (1483/1493-1553).
[4] Franz Kafka (1883-1924).
[5] Léon Tolstoï (1828-191).
[6] Yukio Mishima (1925-1970).
[7] James Joyce (1882-1941).
[8] Michel Houellebecq, Flammarion, Paris,1998.
[9] La Mecque.
[10] Jérusalem.
[11] Aux fils d’Israël.
[12] Le terme exact selon le Littré est
« dilapidateurs ».
[13] le pluriel de Shaïtan est Chayatin,
s’agit-il là d’une erreur de la art de Chouraqui, peu probable.
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